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Quelques lettres intéressantes du Révérend Père Augustin Colombel, missionnaire en Chine à Shangaï, adressées à sa sœur, par le Pékinois

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Nous allons publier ici quelques lettres d'un missionnaire français jésuite, écrites depuis Shanghaï à la fin du XIXe siècle. Elles sont intéressantes par les détails qu'elles donnent sur le développement des missions à Shanghai et les difficultés rencontrées.

Le but de cet article étant de partager le contenu de ces lettres, tout ou partie de celui-ci peut être partagé en indiquant, bien évidemment, la source. Toutes les lettres ont été scannées sans pour autant être ici reproduites. Une simple demande au tenancier du blog permettra d'obtenir la totalité des scans.

Le missionnaire est le Révérend Père Augustin Colombel (1833-1905). Toutes les lettres sont adressées à sa soeur Marie-Thérèse Colombel (1839-1912) qui était la baronne Richerand par son mariage avec Wladimir Richerand (1816-1893) en 1865. Wladimir était alors veuf de Sophie Rendu (1819-1863) avec qui il eut 5 enfants. Le couple Richerand-Colombel a eu au moins un fils, Augustin, et une fille, Amélie. Wladimir était aussi le fils du chirurgien Anthelme Richerand, fait baron en 1829. 



Portrait tiré du bulletin trimestriel jésuite (Gallica)


Sur le père Colombel en particulier, on sait finalement peu de choses. La biographie la plus complète est celle publiée dans le bulletin trimestriel des jésuites en Chine, Relations de Chine - Kiang-Nan (p.126-127) :

    Le Père Augustin-Marie-Louis Colombel, né à Paris le 1er août 1833 fit ses études à Brugelette, en Belgique. A 18 ans, il entra dans la Compagnie de Jésus et fît son noviciat à Ensifhein, en Alsace. Après de courts séjours dans différentes maisons de province, il professa les mathématiques à la rue des Postes et partit pour la Chine ou il arriva le 7 janvier 1869. Son apostolat s'exerça successivement à Tsong-ming, Haimen et Nankin. Il fut un des fondateurs du célèbre observatoire de Zi-ka-wei, où il professa les sciences physiques et mathématiques. Attaché en 1889 à l'église de Saint-Joseph de Changhaï, il eut bientôt à exercer son ministère auprès des Européens, et, tout particulièrement dans l'important établissement des Auxiliatrices du Purgatoire, dont il fut l'aumônier.

    Depuis quelques années le Père était souffrant ; une opération, que son âge et ses fatigues rendirent fatale, devint urgente. Administré le 12 mai par Mgr Maquet, évêque du Tché-li, son ami intime, le saint missionnaire voyait ses forces diminuer chaque jour. Le 27 juin, après une courte agonie, il rendit doucement sa belle âme à Dieu.

    Le Père Colombel avait conservé une correspondance suivie avec sa famille, les événements de France et son avenir l'inquiétaient beaucoup. Tout ce qui avait trait à la famille, souvenirs de jeunesse, événements tristes ou heureux étaient pour lui d'un grand intérêt.

    Une messe de Requiem fut célébrée à l'église Saint-Joseph le 28 juin par le R. P. Boucher, recteur de Zi-ka-wei. Cinquante missionnaires étaient présents ainsi que les procureurs des différentes missions.

    MM. Dejean de la Bâtie, consul de France, Chapsal, directeur des messageries  maritimes ; Depfield, directeur des postes, assistaient également à cette cérémonie.

    Journaux catholiques et protestants, français et étrangers eurent également un  mot d'éloge et de regret pour le saint missionnaire dont l'apostolat s'était exercé  en Chine durant 37 ans avec tant de zèle et d'intelligence. 


Son rôle dans la construction de l'observatoire, alors à quelques kilomètres de Shanghai, fait de lui le père de l'astronomie chinoise moderne. Les premières observations y sont réalisées le 1er décembre 1872 et l'observatoire est achevé en 1873. Colombel y restera jusqu'en 1874 et est remplacé par le père Henri Le Lec en 1875. C'est d'ailleurs avec le père Le Lec qu'il publie dès 1874 les premières observations météorologiques faites en 1873.

L'observatoire est maintenant dans le quartier Xujiahui du district de Xuhui de Shanghai. 

Le passage que nous avons mis en gras dans sa biographie est effectivement révélé ici par ce petit extrait de correspondance à sa sœur (12 lettres sur probablement plusieurs centaines entre 1869 et 1905). Outre ces aspects familiaux, amicaux, etc., nous pouvons aussi signaler que la plupart de ces lettres contiennent de nombreux détails sur la vie en Chine, allant de la simple réception de livres ou nappes d'autel envoyées par sa sœur, aux anecdotes diverses sur les conversions, le développement des missions, les épidémies de choléra, les persécutions dues aux mandarins... Tout cela fait de ces courriers un très beau témoignage de l'activité des missionnaires à la fin du XIXe. 

Nous avons tout particulièrement un petit faible pour cette anecdote (lettre n°1) :

J'ai aussi parmi mes chrétiens deux anciens prêtres des idoles, l'un brûlait l'encens devant Fo et les autres dieux que la Chine a empruntés à l'Inde, il avait la tête rasée, c'est un Bonze. Il est maintenant cuisinier dans un thé tenu par des payens (comme qui dirait dans un café). L'autre faisait pousser sa queue et récitait les prières chinoises devant je ne sais quel héros du céleste empire, c'est un Fao sse (?). Comme j'avais refusé la communion au Fao sse qui n'était pas assez instruit et accordé cette faveur au Bonze qui dans sa simplicité savait et croyait le nécessaire. L'orgueil du Fao sse se réveilla et se traduisit en coup de poing sur la tête de son émule. C'était au moins un signe qu'il désirait le bienfait de la communion. Mais ce désir ne me paraissant pas assez surnaturel je lui donnais pourtant tous les torts. 



Entête de la lettre n°2


Entête de la lettre n°12

Liste des lettres présentées ici :

  1. Ousi, 17 avril 1872. Ousi semble un lieu de l'actuelle Shanghai, au nord de Zi-Ka-Wei.
  2. Eglise Saint Joseph, Shanghai, 3 janvier 1888.
  3. Nankin, 1er avril 1888.
  4. Shanghai, 13 mars 1890.
  5. samedi 6 juillet 1890.
  6. Shanghai, 7 août 1890.
  7. Shanghai, 4 septembre 1890.
  8. Shanghai, 5 octobre 1890.
  9. Shanghai, 30 octobre 1890.
  10. Shanghai, 31 mars 1891.
  11. Shanghai, 25 juin 1891.
  12. Eglise Saint Joseph, Shanghai, 11 octobre 1892.


Lettre n°1


Lettre n°1 : Ousi, 17 avril 1872.

    Ma bien chère sœur, 
    Je reviens du nord de mon district où j'ai passé toutes les fêtes de Pâques, depuis deux mois je suis en course et je dois repartir après demain matin. Je te trouve toujours fidèle à ton affection pour moi et ta lettre du 6 février m'attendait ici. J'ai reçu aussi les journaux que vous m'envoyiez, l'album des ruines de Paris et la photographie de mgr Surat. Je vous remercie de vos attentions délicates.
    Le district que je viens de parcourir est tout nouvellement formé. Il y a 10 ou 12 ans un seul père administrait tout le pays où nous sommes trois ou quatre actuellement. Avant la guerre des rebelles en Chine il n'y avait pas 300 chrétiens dans les deux ou trois départements qui sont au nord de Ousi, aujourd'hui ils sont près de 3000. On vient encore de les partager et le district nouveau m'est confié. Au midi de mon district j'ai 300 chrétiens, au nord j'en ai 400. Tous exceptés les pêcheurs sont nouveaux chrétiens. J'ai fait la mission d'une paroisse de 60 chrétiens et une trentaine de catéchumènes qui datent au plus de 4 ou 5 ans. Dans ces trois semaines, j'ai baptisé 25 grandes personnes et il en reste davantage encore pour les mois suivants.
    Comment se font ces conversions, il m'est bien impossible de te le dire. Nous employons partout les mêmes moyens, mais c'est surtout dans ces trois ou quatre districts que le bon Dieu fait lever la moisson. On touche du doigt combien nous ne sommes que des instruments entre les mains de Dieu. On prêche, on catéchise et on est moqué de ses auditeurs, au sortir de là, on trouve un catéchumène que le bon Dieu envoie de lui-même. Mes derniers baptisés sont une bonne et nombreuse famille de cultivateurs, je n'ai jamais pu savoir qui leur avait le premier parlé du bon Dieu. A toutes mes questions ils répondaient : Personne ne nous a invités à venir, c'est de nous-même que nous avons pris la résolution d'honorer le Seigneur avant de connaître aucun chrétien.
    Un jour au soir, j'expliquais à 7 ou 8 païens des images qui représentent les principaux mystères, ces pauvres gens se moquaient entre eux de mon mauvais langage et je continuais toujours en pensant que Dieu ne demandait de nous que le travail et non le succès. Un enfant interrompit tout à coup mes réflexions en disant que dans le village un homme se mourait. J'y envoie immédiatement mon catéchiste qui a tout juste le temps de lui dire quelques mots, de comprendre à ses gestes et à ses paroles entrecoupées par le râle de l'agonie qu'il croit en Dieu Père, Fils et St Esprit, qu'il se repent de ses fautes, et de le baptiser. Il finissait la formule du baptême quand le pauvre homme rendait le dernier soupir. J'aime à vous répéter cela pour vous montrer comment par la prière vous pouvez nous aider. Nous avons besoins avant tout de la grâce de Dieu et cette grâce ne sera obtenue que par nos mérites, il n'est pas besoin de venir en Chine pour exercer cet apostolat. Gagner beaucoup de mérites par de continuels sacrifices sur vous-même et vous nous aiderez puissamment.
    Vous pensez bien que parmi mes chrétiens j'ai toute sorte de personnes, les riches exceptés toutefois. Ici plus que partout ailleurs la malédiction de l'Evangile pèse sur eux. Outre cette raison principale, on peut ajouter qu'ici plus que partout ailleurs cette classe tient d'autant plus à la terre qu'elle y jouit davantage.
    La grande majorité de ces pauvres gens cultive quelques arpents de terre. L'admirable fécondité du sol leur demande au plus quatre mois de travail et ils ont une récolte de riz qui leur donne la nourriture de la famille d'abord puis de quoi vendre assez pour pourvoir aux vêtements et aux autres besoins. Je n'ai qu'un catéchumène qui possède 200 arpents, il n'en cultive que 40 qui suffisent amplement pour ses besoins, mais le pauvre homme est trop simple, il se laisse gruger par tous ses parents et amis payens, il en est toujours à la misère. J'ai aussi parmi mes chrétiens deux anciens prêtres des idoles, l'un brûlait l'encens devant Fo et les autres dieux que la Chine a empruntés à l'Inde, il avait la tête rasée, c'est un Bonze. Il est maintenant cuisinier dans un thé tenu par des payens (comme qui dirait dans un café). L'autre faisait pousser sa queue et récitait les prières chinoises devant je ne sais quel héros du céleste empire, c'est un Fao sse (?). Comme j'avais refusé la communion au Fao sse qui n'était pas assez instruit et accordé cette faveur au Bonze qui dans sa simplicité savait et croyait le nécessaire. L'orgueil du Fao sse se réveilla et se traduisit en coup de poing sur la tête de son émule. C'était au moins un signe qu'il désirait le bienfait de la communion. Mais ce désir ne me paraissant pas assez surnaturel je lui donnais pourtant tous les torts. Parmi mes catéchumènes, j'ai aussi d'anciens rebelles, ils ont bien des meurtres à se reprocher, Dieu leur a pardonné, la justice chinoise ne s'en préoccupe pas, mais si jamais on établit les lois françaises en Chine et qu'il vienne un procureur de la république ou du Roi, je le prierais bien sincèrement de ne pas trop chercher à savoir le passé.
    Vous voyez combien nous avons besoin du secours de Dieu, priez beaucoup pour ces pauvres gens, pour que les payens ouvrent les yeux, j'espère que le Bon Dieu, à son heure, aura pitié d'eux. Ici comme en France on s'attend à de grands évènements. Prions pour que Dieu les tourne à sa gloire. Priez aussi pour moi, que vos prières m'accompagnent partout et nous aurons ainsi tous part à la même récompense.
    Adieu tout à tous et à chacun. 
    Mon respect et mon affection toute entière, surtout à notre bien aimé père. 
    Ton frère tout dévoué. Aug. M. Colombel s.j.

Lettre n°2 : Eglise Saint Joseph, Shanghai, 3 janvier 1888.

    Ma bien chère sœur,
    Je suis heureux que le bon père Rathanis (?) ait eu la bonne pensée d'aller te voir. Tu auras dû en apprendre de lui sur Shanghai plus que je ne pouvais t'en dire en bien des lettres. Connais-tu le P. Fournade ? Va le voir, il a tenu ici le poste que j'occupe et pourra t'en dire encore plus long. Il est à la rue de Sèvres. 
    Merci pour tout ce que tu m'envoies. Ca me fait plaisir à moi-même puis à beaucoup d'autres après moi.
    Je te prie de recommander à madame Henri de me renouveler l'abonnement qu'elle a eu la bonté de me donner aux Etudes de nos Pères. Cela m'est utile ici, je les fais lire à des gens que le respect humain empêche de s'y abonner. Elle m'aide là à faire une bonne oeuvre.
Frère Louis doit être content de moi maintenant, il a des timbres. J'embrasse bien fort ton soldat. Dis-lui de m'écrire longuement. 
    Merci encore des bonnes nouvelles que tu me donnes sur les jeunes économes. La sœur qui y a été m'en demande souvent.
    As-tu vu la mère supérieure de nos religieuses ? La veille de Noël, on m'a fait baptiser une jeune fille du nom de Marie Eugénie. La marraine était Clémentine Tavarez (?). Tu lui demanderas ce que ces noms veulent dire.
    Adieu, je vous embrasse tous bien fort.
    Ton frère
    Augustin.
    N'oublie pas de mettre souvent des cierges pour moi à Montmartre ou à N.D. des Victoire, à Se Geneviève.


Lettre n°3

Lettre n°3 : Nankin, 1er avril 1888.

    Ma bien chère sœur,
    Alleluia ! C'est le jour de Pâques que je t'écris. Nos pauvres chrétiens sont venus en grand nombre. Les païens encore plus pour voir. Que le Bon Dieu leur ouvre donc les yeux du coeur !
    Oui, je reçois tes annales catholiques, très fidèlement. Je t'en remercie mille fois, elles font grand plaisir à moi et à tous les pères qui sont autour de moi. Puis quand nous les avons bien lues, elles sont reliées en volume et gardées dans notre bibliothèque. 
    De ce que tu m'envoies aujourd'hui :
    1° La revue du monde catholique, très bien. Je l'ai lue en entier, les pères mes voisins la lisent, envoie nous la pendant quelques mois. Les journaux quotidiens sont trop détaillés pour nous, nous ne pouvons les lire, mais les revues mensuelles ou bimensuelles sont notre affaire. Nos pères de Paris en publient une maintenant, envoyez-nous la. Je la désire beaucoup.
    2° Les mystères de la franc-maçonnerie dont tu m'envoies les 2 dernières livraisons font plaisir aux pères qui m'entourent, si tu m'envoies la suite, tu me feras plaisir.
    3° Les contes chinois ne sont pas forts. C'est mal traduit et mal choisi. On aurait pu trouver bien mieux.
    Adieu ma chère Marie. Priez beaucoup pour notre pauvre Chine. Je vous embrasse tous.
    Ton frère
    Augustin.

Lettre n°4 : Shanghai, 13 mars 1890.

    Ma bien chère sœur,
    Merci de ton exactitude à me donner des nouvelles de ton fils. Je les attendais car j'ai bien souvent prié pour lui. Remerciez bien le Bon Dieu. Nous devrions mettre autant et plus de soin à remercier Dieu des grâces accordées qu'à les lui demander. Dis à ce cher enfant de se montrer reconnaissant. Qu'il voue au service de Dieu la vie que Dieu lui a laissée.
    La mère Saint Dominique te remercie bien du bon souvenir que tu lui gardes. Je lui ai montré tes lettres et je sais qu'elle t'aime beaucoup. Leur œuvre va toujours bien. Elles sont très aimées ici par les dames de toute la société.
    Ton ornement est à notre petite chapelle domestique. Toutes les fois qu'il sert, je suis heureux de penser que votre travail sert à la messe. Vous aurez une part des prières qui s'y font.
    Adieu cher sœur
    Je vous embrasse de tous coeur.
    Ton frère
    Augustin.



Lettre n°5

Lettre n°5 : samedi 6 juillet 1890.

    Ma bien chère sœur,
    Merci toujours pour tes bonnes lettres. Elles me disent assez que vous aimez toujours le Bon Dieu, que le Bon Dieu vous aime, c'est tout ce que j'ai besoin de savoir. Si dans les détails que tu me donnes je ne vois pas cela, ils me feraient de la peine. Mais non, tout ce que tu me dis de toi et des tiens dit que vous l'aimez, que vous le servez et je vous en aime davantage. Continue donc à me parler bien au long de chacun. Ta fille devient grande. La mère St Dominique m'en dit du bien. Vous vous préoccupez de son mariage. Je prie bien souvent pour que le Bon Dieu lui donne un bon mari. Lui seul connait l'avenir. C'est à toi qu'il a remis le soin de chercher sa volonté pour ta fille. Adresse-toi donc à lui dans la prière. Tu as sans doute autour de toi des Pères, des prêtres qui connaissent Amélie, qui te connaissent, demande-leur conseil. Je vois avec joie que cette chère enfant veut avant tout un mari qui aime et serve le Bon Dieu. Dis-lui bien que je prie avec vous pour cette affaire. 
    Et ton Augustin ? Il a dû aller encore passer quelques semaines au régiment, je pense. Comment s'y comporte-t-il ? S'y tient-il bien ? en Chrétien ? Quelles idées en rapporte-t-il ? Il me disait qu'il voulait être soldat...? Est-ce sérieux ? A la distance où je suis, je ne peux en juger. Il peut se faire que oui. Il y a des raisons de croire que non. Là encore, c'est auprès du Bon Dieu que tu pourras trouver conseil. Ecris-moi longuement sur eux tous.
    Et Emmanuel...? Le voyez-vous souvent ? Sa mère se dévoue bien pour lui. Je suis heureux de la voir près du collège, j'espère que les Pères suppléeront un peu à l'absence de notre cher Henri. Il y a aussi plusieurs Lauras au collège. Tes enfants les voient-ils quelques-fois ? Avez-vous gardé quelques relations avec eux ? 
    Si j'allais à Paris, je ne verrais que des figures nouvelles et pourtant j'aime bien tous ces chers enfants dont j'espère presque jusqu'au nom. Parle-moi d'eux-tous.
    Je suis heureux de te voir aller chez les Dames auxiliatrices. Elles sont excellentes. La mère St Paul peut te parler de Shanghai, elle en reçoit souvent des nouvelles. Il y a aussi rue de la Barouillère deux jeunes religieuses qui viennent d'ici. Je serais heureux que ta fille put faire connaissance avec elles. Elles sont à peu près de son âge et nées à Shanghai. Je leur ai fait bien souvent le catéchisme. Ici ces bonnes mères font toujours beaucoup de buis. Il y a deux mère chinoises appliquées à la visite des malades, elles baptisent beaucoup d'enfants chez les païens. Nous avons baptisé chez elles mercredi dernier un jeune homme protestant dont j'avais baptisé moi-même la femme et l'enfant. Prie souvent pour leurs œuvres.
    Adieu chère soeur, je vous embrasse tous bien fort.
    Ton frère
    Augustin.
    Merci pour les semaines religieuses, les annales &... Où en est l'église de Montmartre ? Il y a je crois un album où on a réuni les dessins faits pour son bulletin, il se vent à l'église même. Donne-le moi... Je pourrai m'imaginer un pèlerinage à Montmartre. Le souvenir qui m'en reste c'est d'y être allé avec notre père, Xavier et Henri. J'avais 6 ou 7 ans. Je me souviens d'un moulin à vent qu'il y avait là...

Lettre n°6 : Shanghai, 7 août 1890 :

    Ma chère Marie, 
    Le mois d'août à toujours été un de mes mois favoris. Le 1er, anniversaire de ma naissance, le 14 celle de Henri, le 28 celle de Xavier. Puis on y faisait la fête, celle de notre mère, celle d'Aline. Le 15 passait pour notre fête à tous parce que nous nous appelons tous Marie. J'ai trois noms, Augustin le 28, Marie le 15, Louis le 25. Aussi pendant ce mois les souvenirs pour la famille abondent. J'ai commencé hier la neuvaine de l'Assomption, tu en as une bonne part.
Oui le Bon Père Rathanys (?) est mort. Je l'ai assisté dans ses derniers moments. C'est une perte pour nous, mais le Bon Père sera plus heureux au ciel. 
    Je suis heureux de voir que tu t'occupes de nos Pères de la rue Lafayette. Je me rappelle qu'une fois pendant les vacances, maman m'emmena chez eux, elle leur portait une douzaine de paires de bas parce qu'elle avait vu que l'un d'eux avait des bas percés. Je pense bien comme toi que cette maison aura des difficultés. Les allemandes s'éparpillent dans Paris. Ils fuirent ce quartier-là. Dès lors le but premier de cette œuvre viendra à manquer, où bien il faudra trouver d'autres œuvres à faire là ou bien il faudra se retirer. Le Pauvre Père de Bigand doit avoir bien des inquiétudes. C'est dans cette maison que Henri à commencer à pratiquer la médecine.
    Ce que tu me dis de ses processions à Paris me semble bien vrai. Les hommes y manquent. Ils y manquent comme simples fidèles, ils y manquent comme représentants des corps constitués, gouvernement, armées... En un mot il manque à ces processions une représentation de la nation. Ce n'es plus un culte national. C'est un culte public où on retrouver encore le Clergé, l'Eglise, puis avec elle la vie privée, les femmes, les mères, les enfants mais on n'y voit plus la vie publique, sociale. Aussi le Bon Dieu ne bénit-il pas les affaires publiques.
    Merci des nouvelles du fils ainé d'Etienne... N'est-il pas mort maintenant ? Si tu vois Etienne ou sa femme, dis-leur que je prie bien pour eux.
    Oui j'ai reçu la vie du P. Peyrboire. Je l'ai prêtée à nos carmélites qui la lisent en commun. Merci pour les autres livres. La dernière bataille [d'Edouard Drumont] fait plaisir à tous nos Pères qui la lisent pendant ces deux mois de vacances. 
    Les deux derniers, la vie de Mr de Saunis [Sonis] et le journal de Cassini me sont arrivés avec ta lettre par la malle anglaise il y a huit jours. Les deux voies sont bonnes, Marseille ou Brindes [Brindisi, Italie]. Elles correspondent chacune à une des deux malles française ou anglaise. Merci pour tous ces livres. Tous excellents, feront grand plaisir.
    Tu vois que je t'obéis, celle fois ce n'est plus une carte postale.
    Ma tante Jenny est-elle satisfaite de ce qu'on lui a donné pour son legs de madame Bouricault ? Cette maison donne-t-elle de bons loyers ? La sœur de l'hôpital qui vous connait tous me demande de ses nouvelles. Elle me disait ces jours-ci que notre tante Agathe lui donnait des leçons d'harmonie aux jeunes économes.
    Ici nous sommes ces mois-ci en grande chaleur. Le thermomètre ne descend plus en dessous de 26 ou 27 degrés. Au soleil, on brule, à l'ombre on fond. Cependant nous n'avons pas de malade chez nous. 
    A l'hôpital, il en passe beaucoup mais peu de morts. Ces jours-ci, une jeune dame de 20 ans y a passé quelques jours. Elle ne sait même pas sa nationalité, elle est comédienne danseuse sur la corde &... Elle attend ses 21 ans pour prendre une religion. Mais depuis longtemps elle récite tous les soirs 3 Ave Maria. Voilà les âmes que l'on trouve ici. Et il en a de bien pires.
    La mère St Dominique te prie de recommander partout son œuvre aux prières des bonnes âmes. Prie pour elle à Montmartre à Ste Geneviève. Mets-y des cierges pour nous. 
    Adieu chère sœur, je t'aime plus que tu ne peux penser, bien plus que je ne peux dire.
    Je vous embrasse tous.
    Ton frère Augustin.    

Lettre n°7


Lettre n°7 : Shanghai, 4 septembre 1890 :

    Ma bien chère sœur,
    C'est, je crois, le 4 septembre 70 que vous autres parisiens vous avez proclamé la R.F. et depuis la France l'a adoptée et, quoiqu'on en dise, les autres peuples la considèrent avec de grands yeux, sans savoir ce que deviendra cette nouvelle invention. Sera-t-elle le marchepied d'un trône, sera-t-elle la tempête qui s'étendra sur l'Europe entière, le monde entier peut-être ? Sera-t-elle le noyau d'une république universelle comme les avancées (?) le disent...? Dieu le sait, seul il le sait je crois. Les fr[anç]ais ne sont plus assez chrétiens pour mériter la bénédiction de Dieu, les aidera-t-il dans leur politique tout humaine ? Mais Dieu a promis son secours à l'Eglise, elle est certaine de durer toujours. Dieu a suscité des Empereurs et s'est servi d'eux pour son Eglise, puis des Rois... Empereurs et Rois ont bien mal répondu aux avances de Dieu, Dieu s'est retiré, ils tombent. Et maintenant, qu'est-ce que Dieu suscitera pour soutenir son Eglise ? Ici je m'arrête, je ne me sens pas l'esprit de prophétie. Mais j'ai confiance que le Bon Dieu tirera le bien du mal, que son Eglise trouvera toujours les secours qui lui seront nécessaires. Et en pratique tenons-nous toujours bien près d'Elle, pressons-nous sur son seul par la Foi, d'abord, par l'obéissance à tous ses commandements, par la pratique de ses sacrements et avec cela nous serons certains de recevoir notre part de la durée perpétuelle que Dieu lui a promise. 
    Voila presque un sermon à propos de mal date. Tu vois où j'en suis en politique, c'est le cléricalisme à outrance, mais pas dans le sens commun.
    Oui j'ai reçu tous tes livres. Merci, merci et encore merci. Les Carmélites m'ont demandé le B. Verboyre, elles l'ont lu au réfectoire et viennent de me le renvoyer. Nos Pères de notre collège m'ont pris le général de Sonis et le lisent aussi au réfectoire, enfin la m. St Dominique m'a pris le dernier, la Campagne du Cassini pour le faire lire à ses sœurs. Tu vois que tes livres servent. Pour moi, je les lis tous, mais trop vite. En trois jours j'ai eu fini le général de Sonis et les autres encore plus vite. Ils sont très bien surtout le Gl. Il est consolant de voir que le Bon Dieu donne encore de tels hommes à la France même quand elle est en République. 
    Je te prie de m'envoyer encore un ou deux livres. Je voudrais avoir les Confessions de St Augustins et les Soliloques du même saint. Mais en français. Je voudrais les faire lire, on ne les a pas ici. Je pense que tu trouveras cela facilement.
    Et encore, mais pour moi-même cette fois. J'ai vu le titre d'un livre, "Le culte de la croix avant J.C." par l'abbé Ansault. Je ne sais ce que c'est mais moi-aussi je crois retrouver en Chine des traces fort anciennes du culte de La Croix. Peut-être trouverais-je dans ce livre quelque-chose qui soit dans le courant de mes idées.
    Enfin, il se publie à Paris une "Revue des Religions". Le P. Delaporte te dira ce que c'est. Envoie m'en deux ou trois numéros comme spécimen.
    Tu vois ma chère sœur que j'abuse de tes aumônes. Je crois que ta charité me le pardonnera et que le Bon Dieu t'en récompensera. 
    Adieu, je vous embrasse tous bien fort.
    Ton frère
    Augustin.

Lettre n°8 : Shanghai, 5 octobre 1890 : 

    Ma bien chère sœur,
    Il me semble que je suis bien en retard avec toi. Je voudrais t'écrire souvent, je remets au lendemain, les malles partent et je te laisse en retard. Et puis, il y a encore les chaleurs, les affaires qui mettent des bâtons dans les roues de la bonne volonté. Même la maladie, car le Bon Dieu m'en a envoyé une petite tout juste pour me rappeler que je ne suis pas exempt de ce châtiment là. Donc j'ai été 10 jours au lit... gastrite... affection dysentérique, voilà les noms que les médecins disaient mais nous avions du choléra à Shanghai et on avait peur de tout ce qui y ressemblait. Donc je me suis demandé si le Bon Dieu voulait de moi... mais non. Je n'étais pas encore mur pour le ciel. Les journaux vous ont peut-être déjà dit que nous avons eu cette mauvaise maladie ici. Pendant le mois d'août, il est mort 12 ou 15 européens à l'hôpital du choléra. Un peu plus dans les familles. Et les chinois ont payé un tribut bien plus fort. On dit que pendant 3 ou 4 jours, ils ont eu 200 ou 300 morts par jour. Mais il est impossible d'avoir un nombre exact. Tout autour de Shanghai, la maladie a sévi longtemps, nos Pères des paroisses chinoises donnaient plusieurs extrêmes onctions chaque jours, quelques fois cinq ou six à la suite l'une de l'autre. Il semble que c'est maintenant fini à Shanghai et que ça diminue beaucoup dans les campagnes. 
    Les sœurs de Charité à l'hôpital ont perdu une sœur, la sœur Pauline Faisais. Elle y était chargée de la cuisine - c'est une grosse charge dans un hôpital - et s'en acquittait très bien. 36 ans d'âge. 18 mois de Chine. La pauvre sœur était en cure à son office le mercredi à 11h. A 3h elle se met au lit. Dès le soir on désespérait et le samedi elle mourait. J'ai fait son service le 29 sept. C'était une de mes premières messes après ma maladie. C'est une grosse perte pour les bonnes sœurs.
    Nous avons eu aussi nos victimes. Le fr. infirmier du collège. Il était bien faible déjà, le choléra a eu beau jeu sur lui. Puis un Père italien de 64 ans, très fort, mais tout dévoué à ses 4000 chrétiens qu'il saignait à 2 heures d'ici. Le Bon Père avait donné de 60 à 80 extrêmes onctions dans le mois de septembre. Il fut pris le 27 mais continua à donner des extrêmes onctions. Le 28, il dit encore la messe à grand peine, p[ar]c[e] q[ue] c'était dimanche et pour consommer les saintes espèces. Mais déjà les chrétiens  qui connaissent bien cette maladie le regardaient  comme perdu. Ils nous l'amenèrent aussitôt après la messe, il nous arrivait à 11h¾ et mourait à 4h malgré les efforts des médecins qui ont essayé des remèdes héroïques. Ce bon Père avait été chassé par la révolution de plusieurs provinces. Il était venu se consacrer à la mission. Il meurt les armes à la main. C'est là une belle mort de missionnaires.
    Chez la m. St Dominique, deux enfants ont été prises. Toutes deux en sont revenues. L'une d'elles (11 ans) était bien à l'extrémité, condamnée par le médecin. Je crois qu'elle doit la vie aux prières faites pour elle. On tenait beaucoup à ne pas la perdre pour la réputation de la maison. 
    La mère St Dominique elle-même est malade actuellement, mais Dieu merci, elle n'a rien à voir avec le choléra. Elle est fatiguée des chaleurs, des préoccupations &... et il n'y a rien d'inquiétant. Leur maison est bien remplie, en tout plus de 350 personnes. Pendant ces mois de choléra, elles ont baptisé beaucoup d'enfants de païens à la mort, 571 en août, 602 en septembre, qui presque tous sont morts bientôt après.
    Je vous félicite de votre voyage en Suisse, mais maintenant que tous travaillent avec nouveau courage, je suis heureux d'avoir fait plaisir à Amélie avec l'encre de Chine. Elle a reçu maintenant les couleurs. Qu'elle en remercie la m. St Dominique. Payez-nous cela en prières pour la Chine à Montmartre. Que le Bon Dieu bénisse tes chers enfants. Ils me semblent bien conservés jusqu'ici, le Bon Dieu a béni tes prières. Puissent-ils rendre le courage nécessaire pour les difficultés qu'ils vont commencer à rencontrer dans la vie.
    Je vous embrasse tous bien fort.
    ton frère
    Augustin.


Lettre n°9

Lettre n°9 : Shanghai, 30 octobre 1890 :

    Ma bien chère sœur,
    Je viens te demander une bonne œuvre, je te prie d'y mettre tout ton cœur.
Nous avons ici pour consul général Mr Wagner. Ce bon monsieur nous a rendu bien des services, il a souvent mis toute son autorité et ses meilleurs soins au règlement de nos affaires et le Bon Dieu y a ajouté quelquefois souvent le succès. Nous lui devons donc de la reconnaissance.
    De plus Mr Wagner est tout spécialement bon pour moi. Je suis souvent intermédiaire entre lui et monseigneur, et j'ai moi-même bien des rapports avec lui pour les affaires de mes paroissiens. Et en tout cela j'ai trouvé chez Mr Wagner la plus grand bienveillance.
    Or Mr Wagner a ici même une nombreuse famille. Sa femme est prise d'une maladie du fois et elle est obligée de fuir nos climats. Elle va partir samedi prochain par la malle pour Paris où elle consultera les médecins et se soignera le temps nécessaire.
    Madame Wagner emmène avec elle une grande fille de l'âge de la tienne, une autre de 15 ans et son dernier fils de 8 ou 9 ans.
    Je te prie donc instamment de tâcher de les voir, le plus souvent que tu pourras. Il y a là un devoir de reconnaissance de ma part, mais aussi une bonne œuvre à faire. Cette bonne dame est très bonne mais les longs séjours que la carrière de son mari lui ont imposés en pays étrangers l'ont deshabituée de la confession. Je crains que si elle venait à mourir à Paris, elle n'ait personne auprès d'elle pour lui parler des sacrements. Les deux filles sont venues communier dimanche pour obtenir la bénédiction de Dieu sur leur voyage.
    J'ai été demander hier à Mr Wagner où descendait sa femme. Il n'y a rien encore d'assuré, ils chercheront à Paris. J'ai donné ton adresse, Mr Wagner m'a dit que sa femme irait te voir dès son arrivée. Lui-même lui écrira par le ministère des affaires étrangères où Mme Wagner ira prendre ses lettres, là on saura son adresse.
    Le P. Fournade a nos lettre par la même voie, il pourrait donc aussi l'y savoir. Si 10 ou 15 jours après la réception de cette lettre, tu n'as pas vu Mme Wagner, prie le P. Fournade de savoir son adresse et va la voir. Il y a là un bonne œuvre à faire. Cette bonne Dame est sans famille, sans parents à Paris, tu pourras lui rendre service. Que ta fille rende aux deux siennes tous ceux qu'elle pourra. Si tu fais connaissance avec elles, tu pourras y envoyer Mme Colombel et son fils, et la mère St Paul &...
    Mr Maignot nous est revenu. Il m'a fait vos commissions. Ta fille a reçu des couleurs. Tu sais ce que sont devenus tes livres, on en finit actuellement la lecture au réfectoire chez les mères. Elles t'en remercient bien.
    Adieu chère et bonne sœur, je vous embrasse tous bien fort.
    Ton frère,
    Aug. M. Colombel s.j.


Lettre n°10 : Shanghai, 31 mars 1891 :

    Ma chère sœur,
    Le bateau qui emportera cette lettre va ramener en France le Lt-Colonel Palle qui revient de Saigon avec sa femme, son fils et sa fille. C'est un de mes anciens élèves, un excellent chrétien, je suis en correspondance avec lui. Il a gardé pour moi un souvenir de bien bonne amitié et je le lui rends grandement. Il était attaché militaire du gouverneur général du Tonkin et rentre avec lui par le Salazie. Je l'ai prié de faire ta connaissance. Je crois que tu n'y trouveras que du plaisir. Il a été élevé à Metz avec les Purnot(?), les Guerquin(?). Madame Colombel sera peut-être heureuse de parler d'eux avec cet excellent colonel à Paris. Il habite rue Pauque23 (Champs-Elysées). Je pense qu'il y sera quelques jours après ma lettre.
    Adieu chère sœur, je vous embrasse tous et de tout coeur.
    Ton frère
    Augustin.


Lettre n°11

Lettre n°11 : Shanghai, 25 juin 1891 : 

    Ma bien chère sœur,
    Vous devez bien souvent parler de la Chine depuis un mois. D'ici nous avons envoyé fidèlement tous les détails de nos affaires. Le P Tournade, la mère St Paul ont pu vous tenir au courant de nos malheurs. C'est une persécution montée contre les œuvres de la Ste Enfance. Nos ennemis ont maintenant assez démasqué leurs batterie pour que nous sachions cela certainement et à la tête de cette persécution, il y a de grands mandarins. Mais ils ont confié l'exécution au peuple, et surtout à la mauvaise partie du peuple et ces exécutions dépassent de beaucoup les intentions de ceux qui les ont excités. On se demande s'il n'en sortira pas une révolte désastreuses contre les européens en général, contre les mandarins qui essaient de maintenir l'ordre, contre l'Empereur peut-être. L'Empereur vient de donner un édit en notre faveur qui est excellent. Mais jusqu'ici les mandarins ne l'ont point encore affiché et bien moins s'empressent-ils de l'exécuter. L'amiral Besnard est à Shanghai avec sa division navale. Je l'ai vu déjà 3 fois et je verrai encore. Vous connaissez sa femme je crois... C'est ici que ce pauvre monsieur a appris la mort de son fils (de 21 mois). Cet excellent homme fait tout ce qu'il peut pour nous aider.
    Malgré tout, nous sommes plein de confiance. Le Bon Dieu nous a évidemment protégés. Jusqu'ici pas une vie de perdue. C'est un gage que Dieu veut nous garder.
    La M. St Dominique a eu bien des sollicitudes. Bien des fois on a annoncé l'incendie, le pillage de sa maison. Mais plus on en parle, moins il est probable qu'on en vienne à l'exécution. Et maintenant, les précautions sont si bien prises qu'il semble impossible qu'il n'arrive aucun malheur. Cependant, priez beaucoup pour nous. Plus que jamais, mettez pour nous des cierges dans vos sanctuaires privilégiés. 
    Adieu. Je vous embrasse tous.
    Augustin
    Voici quelques timbres pour tes fils.
[la fin du feuillet est découpée pour récupérer les timbres.]


Lettre n°12 : Eglise Saint Joseph, Shanghai, 11 octobre 1892 : 

    Ma bien chère sœur, 
    Je suis bien souvent avec vous de cœur et de prières. J'espère que le Bon Dieu continue à bénir l'affaire du mariage de ta fille. Je suis fort édifié de l'esprit de foi qui vous conduit à cette affaire. Le Bon Dieu la bénira. Vous prenez le bon moyen d'assurer l'avenir, tenez toujours les yeux sur la volonté de Dieu. Lui seul a l'avenir entre les mains. J'espère que les prochaines malles me donneront des nouvelles plus complètes.
    Tu me dis, chère sœur, à plusieurs reprises que tu es souffrante... nous avançons vers la 60ne... cela seul suffit. Mais encore Dieu nous a laissé assez de santé jusqu'ici pour compter encore sur quelques années... Quelles infirmités as-tu ? Des rhumatismes sans doute ? ... Donne moi plus de détails. Ma santé à moi est bonne. J'ai quelques fois des migraines, des maux de tête, mais en somme, le Bon Dieu me ménage fort. 
    Tu sais maintenant que St Antoine de Padoue nous a exaucé. Les deux nappes d'autel sont arrivées, d'abord la petite, puis la grande. La M. Dominique les a fait monter, la petite pour l'autel de La Chapelle de congrégation où je dis la messe les jours de réunion, la grande pour le grand autel de leur chapelle où je dis la messe presque tous les jours. Elles ont servi déjà souvent. Je les reconnais aussitôt. Je suis heureux de penser que votre long travail sert à la gloire de Dieu. Merci encore. 
    J'ai reçu aussi la brochure que je demandais sur la cour chinoise, merci encore. Je vois avec plaisir qu'on commence à mieux connaître la Chine de convention qui est bien loin de la vraie. Cette vrai Chine une fois connue témoignera bien. haut en faveur de la vraie religion qui seule peut la sauver. Priez souvent pour la conversion de la Chine. Elle déterminerait celle de l'Asie... Dieu seul peut faire ce miracle. Demandons-le.
    Les journaux, les télégrammes nous ont parlé de votre choléra. Nous qui l'avons presque toujours, nous en avons été préservé d'une manière singulière. Eté horriblement chaud, sans pluie, sans orages, et pas un seul cas de choléra à l'hôpital. En même temps, le télégramme apportait aux journaux les nouvelles de votre épidémie. Ces télégrammes, tous anglais, exagéraient le choléra de Paris, battaient la caisse pour clamer l'immunité de l'Angleterre. En réalité, la France, je crois, a été peu éprouvée et vous en êtes tirés désormais. Je voyais ce matin un journal (anglais naturellement) expliquant que Paris se fournit en désinfectant pour ses rues à Londres. J4ai lu ce que les journaux disaient de vos grandes chaleurs. Ici le thermomètre montait plus haut, mais elle n'ont causé aucune épidémie.
    Je voyais qu'en Amérique des chaleurs moindres que les nôtres tuaient chevaux ou piétons. Ici rien de semblable.
    Je te remercie encore de ce que tu as fait pour Léon Hambert(?). Je me suis attaché à cet enfant, que je n'ai jamais vu, à cause de l'affection de notre père pour le sien. Ces pauvres enfants ont beaucoup perdu en perdant leur mère. Si l'aîné est à Paris, fais-lui tout le bien que tu pourras. Salue les de ma part. D'après ce que leur père me dit d'eux, il doit y avoir beaucoup de bon. Dès lors, on peut corriger ce qui est moins bon.
    Les sœurs de charité ont été éprouvées cette année. La plus ancienne des sœurs de l'hôpital est morte. Une autre fort vieille est morte à Hantcheou (?). Ce sont deux vides et il vient peu de nouvelles de France.
    Si tu vois notre vieille Constance, dis-lui que je me souviens toujours d'elle. Notre mère l'avait prise à ma naissance, elle avait près de 20 ans. Elle doit avoir plus de 75 ans. Qu'est devenu notre bon vieux curé de Crossac, Mr Guillot. Il doit être mort... en as-tu des nouvelles ? ...
    Adieu chère sœur, priez beaucoup pour moi, pour mes œuvres. Je suis chargé ici de veiller sur des âmes qui font bien peu pour leur salut. Le commerce, le plaisir, le monde font oublier leurs devoirs à nos chrétiens européens. Il faut prier beaucoup pour avoir leurs âmes au moins au lit de la mort. Aidez-moi à obtenir cette grâce pour eux.
    Que devient ton Augustin... Je suis inquiet de le voir sans occupation, sans but arrêté. Parle-moi beaucoup de lui. Je prie souvent pour lui. Dis à ton Amélie que son nom revient bien souvent dans mes prières, à la messe surtout.
    Adieu chère sœur, je vous embrasse tout bien fort.
    Ton frère Augustin.


Le pékinois 


Germinal de Zola en 62 tableaux dessinés par Férat et gravés par Dumont (1885-1886).

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Bonjour à tous,

Voici la suite complète de l'illustration donnée par Férat pour la première édition illustrée de Germinal par Emile Zola. Cette édition illustrée est très intéressante en cela qu'elle nous livre une importante iconographie approuvée par Emile Zola lui-même.

Germinal paraît d'abord en feuilleton entre novembre 1884 et février 1885 dans le Gil Blas. L'édition originale en librairie parait peu de semaines avant (mars 1885) cette édition populaire illustrée de format grand in-8 et donnée au public sous forme de livraisons. 62 livraisons exactement avec 62 compositions hors-texte (une composition par livraison) et quelques vignettes en plus.

De cette édition bon marché publiée à la Librairie illustrée, 7, rue du Croissant (Corbeil, imprimerie Renaudet), outre les exemplaires ordinaires tirés à des milliers d'exemplaires, il a été imprimé 150 exemplaires de luxe sur papier de Hollande à 30 francs l'exemplaire.

Les compositions de J. Férat ont été gravées par D. Dumont.

Nous vous laissons admirer cette suite aujourd'hui négligée (à tort selon nous) et par les bibliophiles et par les lecteurs modernes. Elle nous donne la meilleure interprétation graphique du Germinal de Zola, et sans aucun doute l'interprétation la plus proche des idées du romancier naturaliste.

Bonne visite au pays des gueules noires en compagnie de Férat et Zola.

Bertrand Hugonnard-Roche,

Bibliomane moderne
































































En plus de ces 62 compositions hors-texte et de la page de titre reproduits ci-dessus, l'illustrateur a agrémenté cette première édition illustrée de plusieurs vignettes et têtes de chapitres. Ainsi, il y a en plus des 62 compositions hors-texte, 7 vignettes en-têtes de chapitre (une pour chacune des 7 parties du roman) et quelques vignettes placées en culs-de-lampe en fin de chapitre. Les voici.


Bandeaux pour les parties I à VII (présentés ci-dessous par ordre d'apparition)

PARTIE 1



PARTIE 2



PARTIE 3



PARTIE 4



PARTIE 5



PARTIE 6



PARTIE 7



LES VIGNETTES PLACEES EN CUL-DE-LAMPE





L'ensemble des illustrations ci-dessus ont été numérisées par nos soins sur un exemplaire de notre collection.

Les vœux pieux du Bibliomane moderne pour 2022

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Des livres,
des livres,
et encore des livres !


Amitiés Bibliophiles, Bertrand Hugonnard-Roche
Bibliomane moderne
Librairie L'amour qui bouquine

Un ensemble de 12 aquarelles originales pour un ouvrage érotique (curiosa) qui n'a peut-être jamais paru ? Mais lequel ? ... Quel artiste ?

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Voici ci-dessus 9 des 12 dessins. Les 3 autres dessins originaux montrent des scènes difficilement montrables et admissibles, nous avons donc choisi de volontairement ne pas les montrer. Si vous souhaitez cependant les voir pour juger du travail de l'artiste, nous pourrons vous les envoyer par email.

Vous aurez noté quelques indices pour la datation ... qui peut être fixée entre 1939 et 1945, peut-être un peu avant ... Nous avons une information essentielle sur l'éditeur commanditaire de l'ouvrage mais nous préférons garder cette information encore un peu secrète pour le moment.

Si vous avez une idée de l'artiste ? du livre en question ? n'hésitez pas à nous en faire part par email à contact@lamourquibouquine.com

Merci de votre attention,

Bien cordialement,
Bertrand Bibliomane moderne

Les exemplaires de « chez les passants » de Villiers de l'Isle-Adam, avec envoi, par Cerbère.

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Pour qui s'intéresse à Villiers de l'Isle-Adam, on sait que les beaux exemplaires de Chez les Passants sont rares et chers. Les beaux exemplaires étant ceux avec envoi, généralement de Mallarmé, contresigné par Huysmans et parfois aussi par Dierx.

Rappelons rapidement l'histoire : Villiers de l'Isle-Adam était condamné par un cancer de l'estomac. Il habitait alors au 19 rue Oudinot, dans un logement insalubre, non loin de François Coppée qui habitait au 12 (Barbey d'Aurevilly y résida rapidement aussi mais fut plus longtemps dans la rue Rousselet, toute proche, où fut aussi Léon Bloy). Le 12 juillet, il est emmené à la clinique des Frères Saint-Jean-de-Dieu, toujours rue Oudinot. Il reconnait enfin son fils Victor le 12 août et épouse Marie Dantine le 14 août. Il meurt peu de temps après, le 18 août et est inhumé au cimetière des Batignolles le 21 août. Il a, depuis, rejoint son fils, mort en 1901 à seulement 20 ans, au cimetière du Père-Lachaise.

Chez les Passants est donc un ouvrage posthume, publié grâce à Stéphane Mallarmé et J.-K. Huysmans au Comptoir d'édition à Paris, i.e. chez Léon Dierx. L'ouvrage porte un frontispice de Félicien Rops.

En disant tout cela, on a déjà une partie de la liste des dédicataires connus de cet ouvrage. Tous ces envois sont de la main de Mallarmé et contresignés par le(s) autre(s). 

La liste que nous donnons ci-dessous n'est évidemment pas exhaustive. Elle est amenée à être complété à chaque exemplaire que le marché laissera apparaître.

Nous les classerons par ordre alphabétique : 

  1. François Coppée (1841-1908), poète ami de Villiers.
    Exemplaire passé aux enchères (Paris, Sotheby's, bibliothèque de Stéphane Mallarmé, 15 octobre 2015, n°273, est. 4000/6000€, vendu 4375€)
    « A François Coppée / en souvenir de la rue Oudinot / JKHuysmans Léon Dierx et Stéphane Mallarmé » (source)


  2. Léon Dierx (1838-1912), éditeur de l'ouvrage.
    Exemplaire passé aux enchères sur ebay (21 mars 2022, vendu 4112€)
    « A Léon Dierx / JKHuysmans et Stéphane Mallarmé » (source)


  3. Alfred Fournier (1832-1914).
    Exemplaire passé aux enchères (Paris, Kahn-Dumousset, 20 avril 2011, n°131, faussement attribué à Edmond Fournier, son fils, est. 5000/6000€, invendu).
    « deux amis de Villiers », signée par Mallarmé et Huysmans. (sources : 1& 2)
  4. Madame Alfred Fournier.
    Exemplaire proposé par la librairie Julien Mannoni en octobre 2014
    « A Madame Alfred Fournier / Respectueux hommage / JKHuysmans et Stéphane Mallarmé » (source)


  5. Edmond Fournier (1864-), médecin de Villiers, fils d'Alfred.
    Exemplaire passé aux enchères (14-18 juin 1926, n°1381, vendu 500 francs)
    « en souvenir d'une visite à la Maison Saint-Jean de Dieu » (source)
  6. J.K. Huysmans (1848-1907), écrivain ami de Villiers.
    Exemplaire passé aux enchères (Paris, Sotheby's, collection Eric et Marie-Hélène B, 15 décembre 2010, n°166, est. 5000/6000€, vendu 9375€)
    « A J.K. Huysmans / Léon Dierx et Stéphane Mallarmé » (source)


  7. Louise Read (1845-1928), secrétaire de Barber d'Aurevilly.
    Exemplaire proposé par la librairie Alexandra Illi (Illibrairie) à Genève (5800 fr suisses)
    « A Mademoiselle Read, / en souvenir de la Maison de Saint Jean de Dieu / JKHuysmans Léon Dierx et Stéphane Mallarmé » (source)


  8. Félicien Rops (1833-1898), auteur du frontispice.
    Exemplaire passé aux enchères (Paris, Sotheby's, bibliothèque de Stéphane Mallarmé, 15 octobre 2015, n°272, est. 6000/8000€, invendu)
    « A Félicien Rops / JKHuysmans et Stéphane Mallarmé » (source)



Quelques remarques : 
  • Parmi les exemplaires absents ici mais probables, il y a ceux de la veuve et du fils de Villiers.
  • Les signataires sont toujours Huysmans et Mallarmé, sauf évidemment pour l'exemplaire de Huysmans
  • Les dédicataires ont tous un lien proche avec Villiers à la fin de sa vie et/ou l'édition
  • Dierx ne signe pas systématiquement
  • Il existe aussi des exemplaires avec envoi de Dierx seul, comme celui d'Eugène Marchal (source)
  • Les exemplaires de Huysmans et Rops ont été vendus lors de la vente de la bibliothèque de Mallarmé. Ont-ils dont réellement été donné aux destinataires ? On peut en douter.
  • La fiche du Rops mentionne qu'on peut lire, au recto de la première garde : « A Huysmans / pour Villiers / Stéphane Mallarmé ». Cela nous fait dire autre chose que la fiche : bien souvent, les envois étaient faits sur le tas de feuilles non encore pliées, donc avant le brochage du livre. Je suppose donc que l'envoi de Huysmans qu'on aperçoit est plutôt la reproduction d'un envoi à Huysmans pas encore sec sur le feuillet de l'envoi à Rops. Cela expliquerai peut-être le second envoi donné dans notre liste ci-dessus et qui n'est probablement jamais parvenu à Huysmans alors que cet autre envoi a peut-être été donné à Huysmans.



Cerbère


Villiers et son Cerbère d'édition (Mallarmé, Huysmans, Dierx)
Sculpture anténatale, Musée archéologique d'Héraklion.



Ex libris avec la devise "PEU A PEU" (vers 1865 ? 1870 ? 1880 ?). Si vous savez ... Merci !

Une lettre à Monsieur Denis Quand Léon Curmer ressuscite Jean Fouquet, par Thierry Couture.

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Paris, le 19 IXbre(= novembre) 1866

 

 

Mon cher Monsieur Denis

 

Je vous adresse cy joint

une épreuve de ma

future introduction

que je vous prie de lire

non avec cette aimable

indulgence que vous

pratiquez si bien mais

avec la séverité que

réclame un discours

qui s’adresse au public.

 

Je vous demande pardon

de mon indiscretion et

de vous prendre un temps

dont les moments sont

 

…/…

 

précieux, mon cœur vous

en gardera une sincère

reconnaissance.

 

Je vous retourne les deux

excellens livres que vous avez

eu la bonté de me prêter et qui

m’ont été bien utiles

 

Croyez moi bien affectueusement

Votre tout devoué

 

                   L. Curmer

 

Ne vous préoccupez pas du

renvoi de cette épreuve

j’enverrai chez vous dans

quelques jours


 

Une lettre à Monsieur Denis

Quand Léon Curmer ressuscite Jean Fouquet

 

 

Les plus anciens lecteurs de ce blog se rappellent peut-être les cinq articles que Bertrand a bien voulu faire paraître, de novembre 2011 à mars 2015, sur l’éditeur Léon Curmer (1801-1870) :

 

·         http://le-bibliomane.blogspot.fr/2011/11/leon-curmer-1801-1870-editeur-celebre.htmlLe Bibliomane. Novembre 2011. Léon Curmer, éditeur célèbre, homme méconnu ;

·         http://le-bibliomane.blogspot.fr/2012/07/souvenir-de-leon-curmer-1801-1870.htmlLe Bibliomane. Juillet 2012. Souvenir de Léon Curmer ;

·         http://le-bibliomane.blogspot.fr/2013/01/les-dessous-dun-billet-autographe-de.htmlLe Bibliomane. Janvier 2013. Les dessous d'un billet autographe de Léon Curmer ;

·         http://le-bibliomane.blogspot.fr/2013/10/une-lettre-inedite-de-leon-curmer.htmlLe Bibliomane. Octobre 2013. Une lettre inédite de Léon Curmer ;

·         http://le-bibliomane.blogspot.fr/2015/03/le-reve-du-jaguar-un-achat-hasardeux.htmlLe Bibliomane. Mars 2015. Le rêve du jaguar.

 

Une récente trouvaille m’incite à enrichir cette chronique. Si vous le voulez bien, faisons dans le temps un grand bond non pas en avant cela s’est déjà si mal terminé !… mais, plus prudemment, un siècle et demi en arrière. Sans partir pour la Chine maoïste, nous resterons en France, plus précisément dans le Paris impérial de Napoléon III.

 

L’automne 1866 dépouille les frondaisons. Saison des feuilles mortes pour le poète mais espoir quasi printanier d’un prochain livre pour Léon Curmer. En effet, l’éditeur s’apprête à faire imprimer une monumentale Œuvre de Jehan Foucquet. En matière d’art, les Français d’alors ne connaissent guère qu’un académisme ankylosé dans l’idolâtrie séculaire de l’Antiquité gréco-romaine. Léon Curmer va leur faire découvrir la fraîcheur pleine de verve d’un peintre assis à son chevalet quatre siècles plus tôt, quand s’achève le Moyen Âge.

 

 

Un peintre exceptionnel

 

De Jean Fouquet, nous savons assez peu de choses. Il naît vraisemblablement à Tours, vers 1420. Sa venue au monde coïncide donc à peu près avec la signature du traité de Troyes. Manigancé non par la volage Isabeau de Bavière[1], comme on nous l’a appris en classe, mais par le rancunier Philippe le Bon[2], duc de Bourgogne et, à l’occasion, prince de l’Intrigue, cet accord diplomatique a été stigmatisé par les historiens d’autrefois comme honteux. De fait,il dépossède le soi-disant dauphin– futur Charles VII[3]– de son droit dynastique à la couronne de France au profit des ambitions anglaises. C’est l’une des périodes les plus sombres de notre Histoire, aussi noire que cette peste qui ravage l’Europe. Le royaume capétien frôle un gouffre politique béant où seule la vaillante Jeanne d’Arc, au triste prix qu’on sait, l’empêchera de s’engloutir.

Jean Fouquet. Heures d’Étienne Chevalier.

Saint Jean à Pathmos. Utilisation du nombre d’or.

Chantilly. Musée Condé.


Dans ce contexte instable, troublé, violent même, Fouquet reçoit sa formation de peintre entre 1440 et 1450, au sein d’un atelier tourangeau ou angevin du Gothique international[4]. Pendant un voyage en Italie, il portraiture le pape Eugène IV[5]. Les contemporains louent la stupéfiante ressemblance du tableau. Cet original aujourd’hui perdu survit sous forme de deux faibles copies, qui ne permettent pas d’en apprécier l’exceptionnelle qualité. Probablement Jean Fouquet rencontre-t-il, à Rome et à Florence, des artistes en vue dont le grand Fra Angelico. De ce séjour au-delà des Alpes, il rapporte en France la science alors nouvelle de la perspective, qu’il est le premier de nos peintres à maîtriser. Il en adoucit toutefois la rigueur mathématique par souci esthétique ; ainsi pratique-t-il une perspective curviligne qui vaut signature. Par ailleurs, il utilise systématiquement le nombre d’or. Hérité des Grecs anciens, ce rapport géométrique observable dans la nature renfermerait des proportions idéales, d’essence divine.

Jean Fouquet. Pietà de Nouans.

Nouans les-Fontaines (Indre-et-Loire). Église Saint-Martin.


Chef d’un atelier prospère travaillant pour le pouvoir royal, la haute aristocratie et la bourgeoisie fortunée, Jean Fouquet enlumine de remarquables manuscrits, parmi lesquels le célèbre Livre d’heures d’Étienne Chevalier (1452-1460), hélas aujourd’hui démembré[6], et les Grandes chroniques de France(1455-1460). Il exécute aussi des panneaux peints : le Portrait de Charles VII(1450-1455) ; le Diptyque de Melun(1452-1458), tableau votif lui aussi dispersé, où la favorite royale Agnès Sorel[7] aurait prêté ses traits à la Vierge Marie ; la Pietà de Nouans (1450-1460), fragment d’un retable monumental... Fouquet meurt entre 1478 et 1481, peut-être à Tours. Il est l’exact contemporain de Louis XI[8].


Jean Fouquet. Portrait de Charles VII.

Paris. Musée du Louvre.


La critique retient de son art le réalisme soucieux de vraisemblance propre aux maîtres flamands, tempéré d’un désir typiquement français de clarté mêlée d’élégante retenue, enrichi par la science italienne de la géométrie. Jean Fouquet assure la transition du Gothique finissant à la première Renaissance.La pénétration psychologique de ses portraits se lit à livre ouvert. Examinez, comme il a dû le faire mine de plomb en main, le visage terne du roi Charles VII. Voyez ces traits tirés, tombants et las ; ce regard qu’embrume une songerie perdue dans le vide ; ces petits yeux cernés, sans éclat ni bonté ; ce long nez rougeaud et sensuel, dépourvu de grâce ; ces lèvres épaisses, charnues mais serrées, à la moue renfrognée : ne percevez-vous pas, comme moi, l’haleine fétide d’un hépatique chronique ?


Jean Fouquet. Heures d’Étienne Chevalier.

L’illumination des fidèles par le Saint-Esprit.

Chantilly. Musée Condé.


Particulièrement attentif aux textes liturgiques qu’il doit illustrer, Fouquet sait en extraire des éléments-clefs que ses prédécesseurs ont négligés. Ainsi, dans le Livre d’heures d’Étienne Chevalier, une lanterne flotte sous la Colombe sacrée pour traduire l’Illumination des fidèles par le Saint-Esprit. Sa virtuosité éblouit, comme en fait foi une paradoxale aptitude à rendre l’ombre par de fines hachures d’or. Délicat, riche et frais, le chromatisme de ses miniatures enchante l’œil : rien de plus exquis que cette harmonie de roses, verts, bleus et blancs… Son goût pour la narration invente des mises en scène à la fois naturelles et savantes, qui tour à tour abritent la tendre intimité d’une Vierge à l’Enfant ou animent une foule compacte et gesticulante échappée des mystèresmédiévaux. Il se dégage de ces compositions magistrales une singulière grandeur, une harmonie déjà classique que n’eût pas reniée Louis XIV, une poésie à la sensibilité préromantique.

 

 

Un éditeur scrupuleux et courtois

 

Léon Curmer a rédigé l’introduction de cette monographie consacrée à Jehan Foucquet, dont il pare le prénom d’un H et le patronyme d’un Cselon l’usage médiéval[9]. Mettant en avant le respect dû à ses lecteurs, il envoie une épreuve de son texte à un certain Monsieur Denis[10]. S’agit-il d’un correcteur d’imprimerie ? D’un libraire qui, au besoin, lui prête obligeamment quelque ouvrage? D’une relation suffisamment ancienne pour qu’il se permettre de l’appeler, avec confiance mais non sans une certaine familiarité, Mon cher Monsieur Denis ? Ce correspondant connaît déjà le projet éditorial puisque l’éditeur ne juge pas nécessaire de nommer son futur ouvrage. Il lui enjoint de relire sans indulgence. Au passage, on remarque sa courtoise modestie : il n’hésite pas à s’effacer devant un homme dont il sollicite le concours.

 

Nous ne mettons pas en doute le soin scrupuleux dont s’acquitta de sa tâche ce brave Monsieur Denis. Blanchisseur occasionnel des papiers de Léon Curmer, fut-il aussi l’arrière-grand-père d’une regrettée vedette des machines à laver[11], dont le rustique C’est ben vrai, ça ! enchanta les téléspectateurs des années 1970 ? Une chose est sûre : le zèle du Père Denis a laissé échapper, au vingt-troisième paragraphe, un pléonastique ordre chronologique des temps ce savon temporel lui aura glissé des mains... Il n’a pas non plus empêché qu’à l’antépénultième paragraphe, une faute entache des chefs-d’œuvres dont le dernier terme est invariable, aujourd’hui comme il devait déjà l’être pour l’impératrice Eugénie, férue des dictées que Mérimée truffait de chausse-trapes et autres délices orthographiques.

 

Quant à l’éditeur, on observe à quel point il sait laisser parler ses sentiments, et combien cette sincérité résonne avec naturel : mon cœur ; bien affectueusement. Léon Curmer, homme de cœur…

 

Heureux possesseur de l’Œuvre de Jehan Foucquet, j’en transcris pour vous l’introduction. Ceux qui la liront in extenso ont d’avance droit à une reconnaissance égale au temps (chronologique, cela va sans dire) passé en dactylographie. Ceux qui la parcourront en diagonale ou, pire, l’esquiveront, s’en expliqueront avec l’auteur dans l’éternité (chronologique des temps, naturellement).

 

 

INTRODUCTION

 

À toutes les époques de l’histoire de l’art, chez tous les peuples qui, parvenus à divers degrés de civilisation, se sont appliqués à exprimer et à manifester au dehors leur pensée, c’est toujours sous l’inspiration religieuse que l’art s’est formé et qu’il a produit ses premières œuvres. Or, entre toutes les manifestations, ingénieuses ou savantes, qui reflètent et ennoblissent à la fois l’esprit humain, l’architecture, par la majesté de la conception et la magnificence de l’exécution extérieure, tient assurément le rang le plus ancien et le plus imposant.

 

Les monuments de la plus haute antiquité, tels qu’il nous est permis de nous les représenter à distance, et ceux que la religion chrétienne a élevés plus tard, les églises gothiques particulièrement, ramènent, avec une sorte d’autorité éloquente, par leur caractère grandiose et sévère, l’âme à la foi et l’homme à Dieu.

 

Montaigne, dans la verdeur de son naïf langage, a pu dire avec vérité : « Il n’est d’âme revêche qui ne se sente touchée de quelque révérence à considérer la vastité sombre de nos églises, la diversité d’ornements, et ouyr le son dévotieux de nos orgues et l’harmonie si posée et religieuse de nos voix. »

 

Il est donc facile de reconnaître le rang que l’architecture, la peinture et la sculpture occupent dans l’histoire de l’art.

 

Si rien n’égale l’impression de recueillement qu’éprouve l’homme en entrant dans une de ces majestueuses basiliques élevées par la piété de fidèles à la gloire de Dieu ; si la pensée humaine atteint ses dernières limites en contemplant les ruines de la Cène, ce merveilleux chef-d’œuvre dans lequel LÉONARD DE VINCI a résumé le Christianisme tout entier, l’âme n’est-elle pas pénétrée d’un aussi profond sentiment de respect en contemplant ce sanctuaire du Vatican où RAPHAEL dans la Transfiguration, le CARACHE dans l’Assomption de la Vierge, le DOMINIQUIN dans la Communion de saint Jérôme, ont réalisé tout ce qu’il est donné à la peinture d’exprimer d’idéal ? La sculpture n’exerce pas un moindre empire sur l’intelligence de l’homme, quand elle la force, malgré elle, à s’incliner devant le Moïse de MICHEL-ANGE, ce marbre sublime où le génie a incarné l’art dans toute sa grandeur et sa majesté.

 

Comment ces étonnantes conceptions, se complétant l’une par l’autre dans un engendrement d’idées immédiat, sont-elles arrivées à un tel degré de perfection ?

 

D’où cette perfection a-t-elle tiré son origine ? et pourquoi les émanations du génie humain se sont-elles produites dans un pays plutôt que dans un autre ?

 

C’est ce que l’histoire et la tradition nous enseignent.

 

Les Égyptiens paraissent avoir consacré à leurs dieux de gigantesques monuments qui, dans leurs pyramides et leurs temples, nous ont légué le témoignage de la vénération religieuse en confirmant cet axiome : « La lumière nous vient de l’Orient. »

 

Les civilisations de la Perse et de l’Inde ont engendré des systèmes artistiques qui étonnent, et qui, sortis du sol, se sont successivement répandus chez les peuples de l’extrême Orient.

 

D’autre part, des migrations ont porté en Étrurie et en Grèce les connaissances qui s’étaient développées dans le centre de l’Asie.

 

Nous savons comment l’Empire Romain, après avoir conquis le monde, était devenu un centre d’où rayonnait la lumière de l’intelligence et du savoir.

 

Le nouvel empire d’Orient, par les soins de Constantin et de Justinien, a résumé et créé cet art nommé byzantin, qui se perpétua dans les cloîtres et se propagea dans les Gaules.

 

Jusqu’au XIVesiècle, d’immenses travaux avaient été organisés au sein de nos villes et de nos monastères ; il nous en reste comme principal témoignage ces manuscrits précieux à tous les titres, qu’on peut consulter, grâce à la libéralité des idées modernes, qui captivent notre admiration à un si haut degré, et vers lesquels une étude sérieuse s’est portée enfin.

 

Au XVesiècle, notre art national se développait dans toute sa magnificence. Ce fut au centre de la France, dans la contrée la plus favorisée par l’aménité du climat, que se forma une école définie sous l’enseignement d’un homme éminent par la science, par le talent et par le génie.

 

Nos architectes avaient élevé les temples splendides, nos peintres en avaient décoré les murailles, nos sculpteurs avaient consacré le martyre des saints et les vertus guerrières des héros qui avaient étendu le sentiment religieux par le dévouement ; notre art était complet et allait se produire dans sa plus haute expression.

 

FOUCQUET fut le chef d’une école qui résuma toutes les écoles de notre pays en profitant de six siècles d’études, et qui étendit au loin son influence et son empire.

 


Jean Fouquet. Diptyque de Melun. Autoportrait.

Paris. Musée du Louvre.


L’action morale qu’elle exerça rayonnant sur toute la France et une partie de l’Europe, elle produisit de vastes résultats, mais seulement actuels, et qui n’eurent sur l’avenir qu’une influence limitée. Si cette manifestation resta improductive, c’est qu’à son départ elle fut paralysée par l’insuffisance même de ses moyens d’action ; la peinture à l’huileétait alors un procédé encore peu connu et peu pratiqué ; le peintre, si élevées que fussent ses conceptions, n’avait pour les exprimer que la gouache sur vélin, et ses travaux, concentrés nécessairement entre quelques mains d’élite, se trouvaient renfermés dans des livres d’heures, rares manuscrits qui, après tout, restèrent oubliés dans le sanctuaire de grandes familles ou négligés sur les rayons des bibliothèques.

 

Une autre cause de l’obscurité dans laquelle Foucquet est tombé doit être attribuée cependant à ce fait si important et si déplorable pour l’école française, du triomphe de la Renaissance italienne sur la Renaissance française.

 

L’Italie, couverte de monuments antiques, mise en communication directe avec la Grèce, était placée merveilleusement pour la culture des arts ; les deux Bizzamano[12]et Barnaba[13]étaient venus de Constantinople et avaient fondé cette école de Sienne qui produisit Guido de Sienne et engendra les écoles florentine et vénitienne. Cimabué est leur fils. L’art, par cette transmission, se trouvait restauré sur le sol de l’Étrurie et de l’Ombrie ; mais il faut avouer que, si les travaux de Cimabué furent glorieux pour la peinture en Italie, nous aussi Français nous avons notre art national : « En France, ainsi que l’atteste Félibien[14], l’art du dessin, introduit pas des migrations qui se perdent dans la nuit des temps, s’y maintint même dans les siècles barbares et y avait fait autant de progrès que dans toute l’Italie. » Nous préparions une Renaissance qui devait nous être propre ; nous avions créé l’architecture gothique ; un genre particulier de sculpture nous appartenait ; nos moines, nos enlumineurs laïcs, avaient exécuté de splendides manuscrits ; leurs travaux avaient produit l’Évangéliaire de Charlemagne, celui de l’ancien monastère et prieuré de Saint-Martin-des-Champs, celui de Saint-Médard de Soissons, la Bible de saint Martin de Tours, offerte à Charles le Chauve, qui datent des VIIIe et IXesiècles, et tant d’autres.


Jean Fouquet. Diptyque de Melun. La Vierge à l’Enfant.

Anvers. Musée royal des Beaux Arts.


Vers 1450, nos conceptions antérieures se résument dans cette école de Tours dont Foucquet fut le chef ; il est le plus grand peintre de notre moyen-âge expirant ; il reste isolé, mais ferme sur son seuil : il devait être pour notre future Renaissance ce que Fra Angelicoet le Pérugin ont été pour la Renaissance italienne. Cette supériorité nous est attestée par la puissance de ses productions, qui avaient pour rivales les écoles flamande et hollandaise, écloses sous la protection des ducs de Bourgogne.

 

Si cette succession de progrès de l’art est logique et rationnelle, si Foucquet se montre le digne héritier de tant de maîtres glorieux, il n’y a nulle témérité à répéter ce qu’Artaud[15] disait à propos d’une situation analogue en la personne de Raphaël : « Il n’est à coup sûr pas tombé tout à coup du ciel pour illustrer le siècle de Jules II et de Léon X ; son talent est l’addition de tous les talents qui avaient existé précédemment. »


Jean Fouquet. Heures d’Étienne Chevalier.

La Trinité.

Chantilly. Musée Condé.


FOUCQUET, dans l’ordre chronologique des temps (sic), nous semble le précurseur d’un Raphaël français… Raphaël qui n’est point venu… laissant notre Renaissance nationale sans couronnement.

 

Dès l’âge de vingt-sept ans, Jehan Foucquet occupait en France le premier rang ; nourri des études sérieuses qu’il avait faites sur les trésors que lui laissaient les diverses écoles françaises, une heureuse circonstance lui permit de les compléter par des études analogues sur les écoles italiennes. La faveur du pape Eugène IV, qui voulait avoir son portrait de la main du peintre français, l’appelait à Rome. Foucquet revint en France mûri par ces enseignements, et il dota l’école de Tours du fruit de ses travaux. L’influence de ce séjour en Italie reparaît dans chacune des œuvres qu’il exécuta en France jusqu’à sa mort.

 

Nous réunissons avec une piété respectueuse ces œuvres oubliées pendant un temps, mais que la Renaissance italienne n’a point éclipsées.

 

Foucquet fut le dernier et le plus méritant de nos peintres nationaux ; il est aussi grand que la plupart des peintres italiens ses contemporains. Pendant que les écoles de Cologne et de Bruges, toutes florissantes, se glorifiaient du nom de VAN EYCK, nos écoles de France, Douai, Dijon et Tours, se résumaient elles-mêmes dans le nom de FOUCQUET, pour former un centre digne de se présenter sous le nom de Renaissance française.

 

Nous ferons remarquer, pour l’honneur de Foucquet, qu’antérieurement à PÉRUGIN et à RAPHAEL, il avait traité d’une manière magistrale le sujet du Mariage de la Vierge, et que les chef-d’œuvres (sic) de ces divins maîtres ont laissé dans tout son éclat la gloire de l’illustre chef de l’école de Tours.


Jean Fouquet. Grandes chroniques de France.

Le supplice des Amauriciens en 1210.

Paris. Bibliothèque nationale de France.


De nos jours, des esprits éclairés, impatients de cette obscurité dont le voile s’est appesanti sur les œuvres de Jehan Foucquet, ont cherché à le venger d’un oubli si immérité. Nous avons recueilli ces essais et constaté les tentatives de ces infatigables chercheurs, les maîtres de la science, de l’érudition et du bien dire. Nous avons pu réunir toutes ces voix amies et répéter, grâce à leur bienveillance, leurs justes appréciations de la vie et des œuvres de Foucquet. Nous les reproduisons pour la seconde fois en les complétant et en leur donnant une forme plus régulière ; nous nous sommes efforcé toutefois de conserver la personnalité des critiques ; leurs opinions, disséminées dans des écrits exposés à disparaître, reprendront, ainsi réunies dans le faisceau que nous formons en l’honneur de Foucquet, toute la sève et la virilité qu’elles avaient à leur origine.


Jean Fouquet. Grandes chroniques de France.

L’hommage d’Édouard Ier d’Angleterre à Philippe le Bel en 1286.

Paris. Bibliothèque nationale de France.


Quelques critiques, amateurs de grandes toiles, ont reproché à Foucquet, en lui donnant avec dédain la dénomination de miniaturiste, de n’avoir fait que des sujets de petite dimension. En repoussant ce mode d’appréciation à la toise, nous renvoyons ces critiques à l’examen sérieux des peintures de Foucquet, si larges par la composition et par une disposition des personnages aussi ingénieuse que magistralement ordonnée.

 

                                                                                                                  L. CURMER.

 

 

Des vues artistiques singulières

 

Avouons-le tout net : ce texte nous semble longuet ! On comprend les scrupules qui poussèrent son auteur à le faire relire. Léon Curmer tarde à entrer dans le vif du sujet. Avant d’aborder Jean Fouquet presque à mi-texte, il juge utile de dresser, depuis l’Égypte antique, un panorama de la production artistique humaine dont il relie l’essence à un besoin d’élévation morale, voire d’inspiration divine. Ces vues, qui méconnaissent l’existence d’un art profane, n’engagent que leur auteur. S’ils l’étonnent, les systèmes artistiques dont il gratifie la Perse et l’Inde nous font sourire. Il omet tout bonnement l’apport capital de la civilisation chinoise. La critique artistique actuelle repose sur une méthode différente : laïque, objective, scientifique même, elle procède par regroupements et comparaisons.

 

Si chère à son époque, la langue fleurie que pratique Léon Curmer a vieilli et n’est plus la nôtre. Cette propension à enchaîner des propositions relatives allonge les phrases comme à loisir. Elle rend la lecture plutôt laborieuse et empêche trop souvent de saisir instantanément la pensée.

 

Certes, l’auteur met en évidence le chef de file qu’incarne Jean Fouquet et la féconde postérité qu’il a suscitée. Il souligne à juste titre rendons-lui cet honneur la puissance de ses productions qu’il perçoit, avec pertinence, comme magistralement ordonnées. On peut toutefois regretter qu’il n’en dégage pas assez le caractère novateur par sa maîtrise de la géométrie et de la perspective, sa science du dessin et de la couleur, son invention dynamique.

 

Par contre, on retient le caractère précurseur de son admiration sans borne pour l’enluminure. Les goûts de ses contemporains s’orientent bien davantage vers les œuvres de chevalet et les vastes compositions classiques ou baroques, que les Parisiens vont admirer le dimanche au Louvre. La peinture sur vélin n’intéresse alors guère qu’un cercle restreint de collectionneurs fortunés.

 

 

Un homme vieillissant

 

Mais revenons à la lettre qui nous occupe. Son écriture s’avère révélatrice, comme déjà observé en janvier 2013 à propos d’un billet rédigé sept mois plus tard, durant l’Exposition universelle de 1867.

 

L’orthographe présente d’amusants archaïsmes. Le plus frappant se rencontre dès la première ligne, avec le Y de cy joint qu’on ne trouverait déjà plus sous la plume de Louis XV. Il en va de même pour l’excellens de l’avant dernier paragraphe. Léon Curmer paraît ignorer la réforme de l’orthographe française de 1835[16], alors pourtant vieille d’un quart de siècle, qui prescrit, entre autres, d’employer un Tau pluriel de mots finissant par ANou ENjusqu’alors, on a écrit en toute correction des enfans innocens.

 

On observe aussi le tracé particulier, en forme d’accent circonflexe, de certains S finaux (vous, à la septième ligne ; les[moments], à la dernière ligne de la première page ; utiles, à la dernière ligne précédant la formule de politesse ; dans, à l’avant-dernière ligne). Archaïsant lui aussi, il se rencontre au début du XIXe siècle puis disparaît peu à peu dès la Monarchie de Juillet.

 

Quant à la graphie, nous la qualifierons de petite, régulière et dextrogyre[17]. Rapide, filiforme et liée, elle semble traduire une vivacité mentale capable d’impatience. Paraissant s’interrompre par moments, elle manifeste aussi comme une lassitude, visible par exemple dans les hampes plongeantes de la signature.

 

Le billet est bref – deux feuillets recto-verso d’un petit in-folio. Manifestement pressé de l’expédier, l’auteur ne l’a pas relu. En font foi les négligences d’accentuation (séverité, au premier paragraphe ; indiscretion, au deuxième ; devoué,dans la formule de politesse)et de ponctuation (certains points finaux font défaut).

 

Pour finir, jetons un coup d’œil au papier à en-tête. Soigné, il sort des presses de Jules Claye (Paris 1806 – 1886), qui imprime la plupart des œuvres de Victor Hugo. Particulièrement chargé aussi, il tient à la fois du catalogue d’exposition et de la carte de visite. Ceci dit, il fournit de précieux renseignements sur l’historique des publications de l’éditeur, à la réserve de son obsolescence car Les Évangiles ont paru en 1864 prévoyant, l’épistolier aura vu large dans sa dernière provision de papier d’affaires. Il nous éclaire aussi sur un certain mode de vie. Léon Curmer ne se rend à son magasin que trois jours par semaine et n’y reste que deux petites heures. L’aisance financière rend-elle accessoire la vente de ses livres, distribués chez des libraires ? Souhaite-t-il ménager le temps nécessaire à ses recherches sur l’histoire de l’art ? Fatigué, peut-être même déjà souffrant, a-t-il volontairement ralenti son activité ?

 

* * *

* *

*

 

Que retenir de cette missive ?

 

Le respect scrupuleux de ses lecteurs, qui pousse un homme destiné au notariat, maniant depuis toujours la plume avec aisance, à se faire relire par un tiers. Et un touchant exemple de modestie, qui devrait inspirer notre époque volontiers dupe de la forfanterie.

 

En traçant ces lignes, Léon Curmer sait-il qu’il n’éditera plus aucun livre ? Sa carrière est écrite et bien remplie ; probablement ne l’ignore-t-il pas... La maladie l’emportera trois ans plus tard, au terme d’une existence toute dévouée à son métier son art, comme il le revendique. Ressent-il les prodromes du mal douloureux, hélas incurable, qui va le ronger ? La main continue de courir sur le papier, légère, rapide et ferme, mais elle doit parfois s’arrêter pour reprendre forces et élan.

 

Le hasard des sites d’enchères mais en est-ce-un ? a mis sous mes yeux, concomitamment à cet émouvant autographe, celui d’une femme de lettres adressant à Léon Curmer un amer reproche d’ingratitude. Cela inspirera peut-être un prochain billet éclairant l’illustre éditeur ou bien sa correspondante, depuis longtemps ensevelie dans les ténèbres de l’oubli sous un jour inattendu. Telle cette lanterne céleste allumée, voici plus d’un demi-millénaire, par le peintre Jean Fouquet.

 

 

 

                                                                                                      Thierry COUTURE

                                                                                                      21 mars 2021



[1]Élisabeth (dite Isabeau) de Bavière (Munich, vers 1370 – Paris, 1435) épouse Charles VI en 1385. Dès 1392, ce dernier souffre de graves crises de démence ponctuées de rémissions, d’où son surnom le Fou. Cette situation inédite propulse la reine sur la scène politique. Les historiens restent divisés sur le bilan de sa régence. À raison semble-t-il, les contemporains lui prêtent une liaison amoureuse avec son beau-frère, le fringant duc Louis d’Orléans, assassiné à Paris en 1407.

[2]Philippe le Bon (Dijon, 1396 – Bruges, 1467) reste profondément affligé par l’assassinat de son père Jean sans Peur, en 1419, sur le pont de Montereau-Fault-Yonne. En signe de deuil, il ne se vêt plus que de noir. Lors du meurtre, le duc Jean est accompagné du futur Charles VII, que Philippe tiendra pour responsable.

[3] Charles VII (Paris, 1403 – Mehun-sur-Yèvre, 1461) devient roi de France en 1422, à la mort de son père Charles VI. Son long règne restaure l’autorité royale, mise à mal par les troubles politiques. L’argentier Jacques Cœur raffermit l’économie, ce qui n’empêchera pas sa disgrâce. Les historiens critiquent l’ingratitude du roi à l’égard de Jeanne d’Arc, qui l’a fait sacrer à Reims en 1429. De fait, il ne tente rien pour délivrer la Pucelle prisonnière des Anglais, brûlée vive deux ans plus tard à Rouen comme hérétique. En 1435, il signe avec son cousin Philippe le Bon le traité d’Arras, qui met fin à la guerre civile entre Armagnacs(partisans du pouvoir royal) et Bourguignons (alliés des Anglais). En 1453, la bataille de Castillon accomplit le vœu de Jeanne d’Arc et boute l’ennemi hors de France. La postérité surnomme Charles VII le Victorieux ou le Bien servi. Il laisse à son fils, le rusé Louis XI, un royaume libéré, pacifié et prospère.

[4]Phase tardive du Gothique, qui se répand en Europe occidentale entre la fin du XIVe et le début du XVe siècles. Elle se caractérise par une élégance raffinée mais précieuse, un souci accru du détail et de la vraisemblance, une obsession macabre liée à l’épidémie de peste noire. Elle traduit aussi une sécularisation de l’art, dont la bourgeoisie devient commanditaire.

[5] Né Gabriele Condulmer (Venise, 1383 Rome, 1447), Eugène IV est élu pape début mars 1431,trois mois avant le supplice de Jeanne d’Arc. Sous son pontificat, le concile de Bâle, qui se prolonge pendant dix ans, affirme sa primauté sur le pouvoir papal et consomme la rupture entre les Églises d’Orient et d’Occident. En 1435, Eugène IV publie une bulle, aussi visionnaire que chrétienne, interdisant formellement l’esclavage. Par avidité, les puissances européennes, Espagne en tête,ne la respecteront pas.

[6]Les miniatures à pleine page du Livre d’heures d’Étienne Chevalier, estimées à une cinquantaine, sont découpées au début du XVIIIe siècle puis dispersées. Le Musée Condé de Chantilly en conserve la majeure partie, soit quarante peintures collées sur des planches de bois. D’autres se trouvent à New-York, en Angleterre et dans plusieurs collections publiques parisiennes. Au moins six ont disparu.

[7]Agnès Sorel (vers 1422 – Le Mesnil-sous-Jumièges, 1450) devient maîtresse de Charles VII en 1443-1444. Elle inaugure la longue liste des favorites officielles.

[8]Louis XI (Bourges, 1423 – Plessis-lèz-Tours, 1483) succède à son père Charles VII en 1461, après avoir comploté contre lui. Politique habile et souvent retors, ses contemporains le surnomment le Prudentmais aussi l’Universelle Aragne(c’est-à-dire l’Araignée). En 1475, il signe avec les Anglais le traité de Picquigny, qui met un terme définitif à la guerre de Cent ans (il en plaisantera, affirmant : « j’ai chassé les Anglais avec du vin et du pâté !). Soucieux d’affermir le pouvoir royal, il lutte contre les grands féodaux. Mais à la mort de Charles le Téméraire en 1477, il ne peut empêcher le passage des territoires bourguignons aux ambitieux Habsbourg. Modernisant son royaume, il crée une poste, encourage la culture du ver à soie et promeut l’imprimerie. Homme avisé œuvrant pour l’avenir, il rassemble et agrandit ses terres. Les historiens actuels passent outre la légende noire de sa superstition et de sa cruauté, traits communs à son époque, et le tiennent pour l’un des plus grands rois de France.

[9] L’orthographe du patronyme restituée par Léon Curmer n’est pas conforme à celle qu’adopte le peintre, qui signe JOH(ANN)ESFOUQUET le médaillon émaillé où il s’est représenté dans le Diptyque de Melun.

[10] Ce nom n’apparaît pas dans la longue liste des souscripteurs de l’Œuvre de Jehan Foucquet. Par ailleurs, l’absence de prénom et le caractère commun du patronyme dissuadent d’entreprendre une recherche susceptible d’aboutir.

[12]Mes recherches sur Internet ne m’ont permis de trouver qu’Angelo BIZAMANO, peintre crétois d’icônes actif de 1482 à 1539, bien après les débuts de l’École siennoise. Ces deux Bizzamanoévoqués par Léon Curmer gardent donc leur mystère.

[13]Barnaba Agocchiari dit Barnaba da Modena (Modène, vers1328vers 1386), peintre italiende style byzantin.

[14]André Félibien (Chartres, 1619 Paris, 1695), architecte et historiographe.

[15] Nicolas Artaud (Paris, 1794 1861), universitaire et traducteur.

[17]Écriture qui penche vers la droite, contrairement à la lévogyre. En associant deux termes l’un latin et l’autre grec, cet adjectif penche du côté de la bâtardise. Dextroverse et lévoverse (ou sénestroverse) respecteraient bien davantage les règles de l’étymologie.

Cérémonies du Mariage entre Armand Anne Henri Joseph de Gontaut-Biron (1893-1970) et Olga COUSIÑO (1894-1934). Exemplaire unique enluminé et luxueusement relié en maroquin doublé de maroquin décoré.

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Cérémonies du Mariage

entre

Armand Anne Henri Joseph de Gontaut-Biron (1893-1970)

et

Olga COUSIÑO (1894-1934)


______________________________



17 feuillets non chiffrés 15,5 x 9,5 cm environ.



 f. 1 v.



f. 1 v. et f. 2 r.


f. 2 v. et f. 3 r.


f. 3 v. et f. 4 r.


f. 4 v. et f. 5 r.


f. 5 v. et f. 6 r.


f. 6 v. et f. 7 r.


f. 7 v. et f. 8 r.


f. 8 v. et f. 9 r.


f. 9 v. et f. 10 r.


f. 10 v. et f. 11 r.


f. 11 v. et f. 12 r.


f. 12 v. et f. 13 r.


f. 13 v. et f. 14 r.


f. 14 v. et f. 15 r.


f. 15 v. et f. 16 r.


f. 16 v. et f. 17 r.





Reliure sortie des ateliers de la maison Lesort, Albinhac successeur,
Paris 3 rue de Grenelle (étiquette)


Plat supérieur avec chiffre doré



Doublure de maroquin richement décorée de filets et fers dorés. Gardes de tabis rouge.



Cérémonies du Mariage pour :

Armand de Gontaut Biron et Olga Cousino (armoiries peintes et devise des Gontaut-Biron : L'Honneur y Gist.

Armand Anne Henri Joseph de Gontaut-Biron, Comte de Gontaut-Biron, Marquis de Saint-Blancard, 3ème Duc de Castellara est né le 17 avril 1893 à Paris et mort le 30 novembre 1970 à Casablanca, Grand Casablanca, au Maroc, à l'âge de 77 ans. Il fut Conseiller général du Gers, fils de Jehan de Gontaut-Biron, Marquis de Gontaut Saint-Blancard, Commandeur avec plaque de l'Ordre Equestre du Saint Sépulcre de Jérusalem (1865-1937) et de Elisabeth Ferron de La Ferronays (1870-1951).

Marié le 16 août 1916à Paris (XVIe arr.) à Olga COUSIÑO.

Olga COUSIÑO née le 11 novembre 1894 à Santiago du Chili, décédée en 1934 à l'âge de 34 ans, fille de Luis Arturo COUSINO GOYENECHEA (1860-1902) et de Maria Isidora LYON ARRIETA.

Le divorce de ce mariage a été prononcé le 16 juillet 1919.

Armand Anne Henri Joseph de Gontaut-Biron, Comte de Gontaut-Biron, Marquis de Saint-Blancard, 3ème Duc de Castellara s'est remarié le 4 juillet 1928 à Paris avec Anne Alice Elisabeth de La Rochefoucauld, Marquise de Amodio (1906-1980). Divorce prononcé en 1948. Anne Alice Elisabeth de La Rochefoucauld était la Fondatrice des «Vieilles Maisons Françaises» (1960).

Armand Anne Henri Joseph de Gontaut-Biron est sans descendance.

L'enlumineur de ce livret unique est resté non identifié. Toutes les miniatures sont réalisées avec une grande précision et un grand talent imitateur des maîtres de l'enluminure du XVe siècle.

détail du f. 16 r.


Photos et notice descriptive : Librairie L'amour qui bouquine
Livres rares | rare books




Publié par Bertrand Hugonnard-Roche pour le Bibliomane moderne


Petite découverte bibliographique à propos des Confessions de Saint-Augustin de la traduction d'Arnauld d'Andilly (1649) : Il n'existe pas de seconde édition à la date de 1649 chez la Veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit (de l'imprimerie d'Antoine Vitré).

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Photographie Librairie L'amour qui bouquine

Parfois un livre ancien vous tombe dans les mains comme un hasard heureux, comme un souvenir du passé (Pierre Brillard si tu me lis je pense bien à toi ...), comme le présage d'une petite découverte.

A propos de ces Confessions de Saint-Augustin traduites en français par Monsieur Arnauld d'Andilly, publiées à Paris chez la Veuve Jean Camusat et chez Pierre Le Petit, à la date de 1649, on pourrait écrire bien des choses très intéressantes. On pourrait redire la beauté de cette traduction sur l'original latin, ou plutôt que de parler de traduction, disons comme d'autres qu'il s'agit plutôt d'une interprétation du célèbre texte d'Augustin d'Hippone. On pourrait longuement parler de ce solitaire de Port-Royal qu'était Robert Arnauld d'Andilly (1589-1674), de ce Grand du Royaume de France qui de Conseiller d'Etat et grand érudit devint jardinier à Port-Royal et par là-même l'un des plus grands influenceurs en matière de religion, grand propagateur du jansénisme. Mais tout cela est écrit, et bien écrit, ailleurs et en de multiples sources très étudiées.

Ce dont nous voulons parler ici, tient en peu de mots et en quelques images. Nous nous intéresserons à cette édition de 1649, donnée à Paris chez la Veuve Jean Camusat et chez Pierre Le Petit. Ce volume de format petit in-8 (c'est bien un volume in-8 et non in-12 comme on lit parfois). Pourquoi s'y intéresser ? Parce qu'elle est intéressante ! CQFD. Elle est intéressante par qu'elle mérite qu'on s'y intéresse. CQFD.


Page de titre de l'édition originale sans mention
avec l'espace bien visible sous
"ARNAULD D'ANDILLY."


On trouve deux sortes d'exemplaires des Confessions de Saint-Augustin portant cette date de 1649 et la même adresse, et de même format. Dans le premier cas la page de titre se présente telle quelle (voir ci-dessus) sans mention, tandis que dans le deuxième cas la page de titre porte en plus sous les mots "ARNAULD D'ANDILLY." les mots "SECONDE EDITION.", imprimé en italiques (voir ci-dessous). 


Page de titre de l'édition originale avec mention
"SECONDE EDITION."


Après avoir consulté de nombreuses sources bibliographiques (catalogues de bibliothèques, catalogues de livres rares de bibliothèques vendues aux enchères, bibliographies spécialisées) il s'avère donc qu'à cette date de 1649 il y a 1. une édition sans mention (qui est donnée comme l'édition originale de cette traduction d'Arnauld d'Andilly) 2. une édition avec mention "seconde édition" qui est donnée, partout où nous avons pu la rencontrer, comme une "seconde édition parue la même année que l'originale". Dont acte.

Nous avons examiné par le détail ces deux éditions. Grâce à l'exemplaire numérisé dans une université (édition sans mention) et grâce à l'exemplaire de seconde édition que nous avons en mains. Une comparaison minutieuse, page à page, nous a permis de rendre un verdict qui est sans appel et qui cependant ne nous semble avoir jamais été rendu : Il n'existe pas de seconde édition à la date de 1649 chez la Veuve de Jean Camusat et chez Pierre Le Petit.

Voyez les comparaisons ci-dessous :


ci-dessus édition originale sans mention

ci-dessous édition originale avec mention de seconde édition





ci-dessus édition originale sans mention

ci-dessous édition originale avec mention de seconde édition




ci-dessus édition originale sans mention

ci-dessous édition originale avec mention de seconde édition





ci-dessus édition originale sans mention

ci-dessous édition originale avec mention de seconde édition





ci-dessus édition originale sans mention

ci-dessous édition originale avec mention de seconde édition





ci-dessus édition originale sans mention

ci-dessous édition originale avec mention de seconde édition





ci-dessus édition originale sans mention

ci-dessous édition originale avec mention de seconde édition





ci-dessus édition originale sans mention

ci-dessous édition originale avec mention de seconde édition





ci-dessus édition originale sans mention

ci-dessous édition originale avec mention de seconde édition


Cette seconde édition n'existe pas car en réalité ces deux édition n'en sont qu'une seule.

Les exemplaires invendus de cette édition de 1649 ont été remis en vente avec un titre légèrement modifié avec pour seule différence cette mention "seconde édition." sans même avoir eu à modifier la mise en page de ladite page de titre. L'espace qui existait entre les mots "ARNAULD D'ANDILLY." et la petite vignette de titre gravée à l'eau-forte était suffisant pour y ajouter cette mention "SECONDE EDITION." Dans les exemplaires portant la mention imprimée "SECONDE EDITION." c'est donc un carton qui remplace le feuillet de titre. On voit sur les photographies ci-dessous ledit carton, feuillet coupé dont il reste l'onglet visible en marge intérieure entre les feuillets 2 et 3 de l'Avis au Lecteur.


On voit bien dans la marge intérieure le morceau de papier qui représente la coupe
du feuillet de titre rapporté (carton).

Allons plus loin. Le feuillet de titre a été changé. Le tirage du volume comporte-t-il des différences de justification ? des corrections ? des changements ? Aucun ! Après une minutieuse comparaison des deux sortes d'exemplaires, tout est strictement identique entre les deux sortes d'exemplaires ! de la position des espaces exagérés lors de la justification des lignes, des ornements gravés qui servent de culs-de-lampe, en passant par les erreurs typographiques et autres malfaçons typographiques. Nous avons ainsi comparé toutes les pages, et tout est identique. Les photographies ci-dessus valent mieux qu'un long discours.

L'édition in-8 Veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit a été imprimée une seule fois le 1er avril 1649 tel que cela est indiqué dans les deux sortes d'exemplaires à la suite du Privilège du Roi donné le 19 mars 1649. Les deux sortes d'exemplaires sortent des presses de l'imprimeur Antoine Vitré tel que cela est précisé à la page 600 et dernière du volume. Les deux sortes d'exemplaires possèdent un frontispice gravé à l'eau-forte par Poilly d'après Philippe Champaigne et portant la date 1649.

Il faudra attendre 1651 pour avoir une "troisième édition" qui elle est bien différente, puis une quatrième, etc., etc. 

Cette petite découverte que nous n'avions jusque là lu nulle part (sauf erreur de notre part) permet donc de dire qu'il n'existe qu'une seule édition in-8 de 1649 chez la Veuve Jean Camusat et chez Pierre Le Petit imprimée par Antoine Vitré. Cette édition (ce tirage) a été remis en vente avec une page de titre cartonnée portant faussement la mention "seconde édition." mais les exemplaires sont d'un seul et même tirage, seul le titre a été modifié.

Pourquoi cette "seconde édition." ? Sans doute pour écouler plus vite les exemplaires restés invendus encore en cette année 1649. Le procédé est assez connu depuis mais j'avoue ne jamais trop l'avoir constaté au XVIIe siècle (le XIXe siècle s'en fera une spécialité avec les éditions originales avec mentions d'édition fictives pour les ouvrages de Victor Hugo notamment).

Voici donc qui est acté. Il ne faudra plus parler de seconde édition parue l'année de l'édition originale concernant ces Confessions mais bien d'édition originale avec titre de relais ou titre cartonné portant la fausse mention de seconde édition.

Bonne journée à tous.ses

Bertrand Hugonnard-Roche

Bibliomane moderne

Librairie L'amour qui bouquine

Des Bradel comme s'il en pleuvait ! Petite évocation autour d'une étiquette de relieur "Relié P(ar) Bradel R. J. de Beauvais N°35" (1801).

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Etiquette du relieur "Bradel"à l'adresse :
R(ue) J(ean) de Beauvais N°35 (Paris)


Intéressons-nous aux relieurs qui portent le patronyme "Bradel", de France et de Navarre, surtout de Paris à vrai dire. L'étiquette ci-dessus est contrecollée au verso de la garde d'un volume imprimé à Paris en 1801 (An IX) chez Le Normant, imprimeur-libraire. Le livre en question, complet en 2 volumes in-8, est bien connu des bibliophiles. Il s'agit du Dictionnaire de la Fable par Fr. Noël. Nous avons ici ce titre en édition originale. Mais laissons pour cette fois l'ouvrage à l'arrière-plan et donnons une description la plus précise possible de notre exemplaire relié par Bradel.

Notre exemplaire est relié en plein veau blond glacé, dos lisse, les trois tranches sont dorées. Le dos des volumes porte une pièce de titre et une pièce de tomaison de maroquin rouge et sont richement ornés aux petits fers dorés (roulettes alternées et séparées les unes des autres par un filet doré fin. Les plats des volumes sont encadrés d'une large frise droite dorée, le tout réalisé à la roulette. Il y a un double-filet doré sur les coupes des plats. A l'ouverture des volumes ont voit un contreplat (ou doublure) de tabis de soie bleue encadrée d'une roulette dorée sur les pourtour des contreplats, avec également une autre roulette poussée directement sur la soie en encadrement. Le montage est fait sur charnière de même cuir (veau blond), la garde volante est également de tabis de soie bleue identique à la doublure des plats. A signaler qu'il s'agit d'une reliure à dos arrondi et collé (et non un dos libre) ; quand on ouvre les volumes le cuir du dos reste collé aux fonds de cahiers du corps d'ouvrage).

Quelques photos valant mieux qu'un long discours, voici quelques clichés de ladite reliure signée de l'étiquette de Bradel.






Cet exemplaire a malheureusement subi quelques outrages du temps (un mors fendu, des coins usés, deux coiffes usées, des frottements). Une restauration semble envisageable cependant et nous y songeront bientôt.

Le plus intéressant néanmoins, hormis le fait de tenir entre nos mains une belle reliure de 1801 qui est sans conteste sortie de l'atelier d'un très habile relieur qui savait relié, doré et décoré avec soin et goût, est cette étiquette de relieur qui nous interroge sur la personne même du relieur : qui était-il exactement ?

Les Bradel étaient nombreux à Paris depuis le XVIIIe siècle jusqu'au XIXe siècle. Nous avons fait une rapide recherche sur les Bradel que nous avons pu trouver répertoriés dans les différentes bibliographies. Voici les Bradel que nous avons trouvé.

D'après Fléty (Dictionnaire des relieurs de 1800 à nos jours) les Bradel sont une famille de relieurs parisiens remontant au XVIe siècle et dont plusieurs membres exercèrent au XIXe siècle.

Bradel Pierre-Alexis, dit Bradel l'Aîné, fut successeur de son oncle, Derome le Jeune, qui fut d'abord établi 65 rue Saint-Jacques avant la Révolution, puis 296 rue du Foin où il exerçait encore, sous la dénomination Bradel Père et fils, en 1805. On dit, précise Fléty, que c'est lui qui mit au point le cartonnage à gorge connu de nos jours sous le nom de cartonnage à la Bradel.

Son frère, Pierre-Jean, dit Bradel le Jeune, également établi au XVIIIe siècle, exerçait 1 rue d'Ecosse en 1799, mais ne figure plus dans l'Almanach du commerce de 1804.

Un autre Bradel était installé 12 rue des Carmes. Il n'exerçait plus non plus en 1804.

Fléty poursuit en donnant la liste des Bradel qu'on trouve à partir de 1804, à différentes adresses : 35 rue Saint-Jean-Beauvais (notre relieur) ; 4 rue du Mont-Saint-Hilaire ; 55 rue Saint-Jacques.

En 1825 on trouve les Bradel suivants :

Bradel Théodore, fils aîné, 28 rue de la Chaussée d'Antin
Bradel Aîné, 41 rue Dauphine
Bradel Jeune, 15 rue du Foin-Saint-Jacques
Bradel Jeune, 11 rue Saint-Jean-de-Beauvais
Bradel (sans autre indication), 9 rue Saint-Jean-de-Latran

En 1835 Fléty en répertorie six :

Bradel, 8 rue Pierre-Sarrazin
Bradel Aîné, 41 rue Dauphine
Bradel Jeune, 5 Passage du Jeu-de-Boules
Bradel Jeune, 15 rue du Foin-Saint-Jacques (y figure encore en 1859)
Bradel Jeune, 20 rue Saint-Jean-de-Beauvais
Bradel Jeune, 28 rue Notre-Dame-de-Nazareth

Fléty précise qu'un Bradel exerçait encore à Paris en 1925.

Dans l'Etat des libraires et imprimeurs de l'Europe publié en janvier 1804 on trouve deux Bradel : un Bradel rue du Foin au n°296 et un Bradel rue Saint-Jean-de-Beauvais (sans précision du numéro de la rue).

Depuis 2004 et l'étude de M. Roch de Coligny "Les reliures de Bradel-Derome le Jeune (Antoine Louis François Bradel) relieur de la bibliothèque royale constituant la bibliothèque du vicomte E. de B.-B. Cousin de nos derniers rois (1820-1855) : époque Romantique" (Axor-Danaé et Honoré d’Urfé Editeurs, 2004), on sait que François-Paul Bradel (v. 1757-1827) dit l'Aîné eut un fils (Bradel-Derome le Jeune) également relieur réputé. Ses locaux étaient au 14 rue Saint-Jean-de-Beauvais.

Mais quel était ce Bradel relieur installé au 35 rue Saint-Jean-de-Beauvais ? Nous n'avions encore jamais croisé cette étiquette dorée sur maroquin rouge. Ce maître relieur était sans conteste un grand relieur et sans doute a-t-il travaillé pour les plus grands bibliophiles de son temps (1801 - un peu avant un peu après cette date). Qui était-il ? Combien de temps a-t-il exercé ? Est-il l'un de ces Bradel qui exerça aussi rue Saint-Jean-de-Beauvais (au 20 ? au 11 ? au 14 ?). A croire qu'une bonne partie de la rue Saint-Jean-de-Beauvais appartenait aux Bradel !

Avez-vous déjà croisé cette étiquette Bradel à l'adresse du 35 rue Saint-Jean-de-Beauvais ?

N'hésitez pas à nous en dire plus par email à contact@lamourquibouquine.com

A suivre ...

Bertrand Hugonnard-Roche
Bibliomane moderne

La cuisine dans l'arrière boutique de Bibliopolis : Une affaire de propriété littéraire, de collaboration et de rémunération pour le Guide de l'amateur de livres à vignettes du XVIIIe siècle ou Guide Cohen. M. Charles Melh contre M. Henry Cohen et M. Rouquette, éditeur.

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Qu'il est amusant de pouvoir rentrer dans l'arrière-cuisine des bibliophiles et autres bibliographes !

On y découvre des parfums peu ragoutants mêlés d'ego ranci et de sauces plus qu'aigres-douces, arrières cuisines que nous avons hélas ! déjà eu le malheur de croiser de trop près. S'attribuer une gloire, un nom, sur des lignes rédigées par d'autres ; ne pouvoir faire valoir ses droits ou encore n'avoir pas voix au chapitre parce qu'on n'appartient pas au sérail ou qu'on n'a pas les grosses clés sonnantes et trébuchantes qui ouvrent les grosses portes pailletées et blindées de la science ... voilà tout un programme qu'on ne conte pas souvent aux néo-bibliophiles amoureux des belles lettres et des belles peaux bien tannées, bien parées, aux jeunes fondus des maroquins plus et mieux polis que ceux-là même qui les caresseront d'outre siècles ...

Le petit épisode qui suit montre combien tout ceci paraît bien puéril quand on décide de faire passer la loi et le droit avant la bonne foi et la sagesse qui devrait présider à tout.

Bonne lecture !
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Le "Guide de l'amateur de livres". - Propriété littéraire. - Collaboration. - Editions successives. - Rémunération. (*)

Le Guide Cohen, publié en 1870 par l'éditeur Rouquette, à l'usage des amateurs de livres à vignettes et à figures, a eu successivement quatre éditions (**). Les deux premières éditions ont été faites par M. Cohen (***), l'ancien conservateur des médailles à la Bibliothèque nationale. Lorsqu'il s'est agi de faire la troisième édition, M. Cohen étant malade, M. Rouquette chargea M. Charles Melh (****) de le remplaceer. M. Melh accepta ; mais aucune convention n'intervint à ce moment entre les parties, tant au point de vue de la rémunération du travail qu'au point de vue de la propriété littéraire. Lorsque le travail fut terminé, M. Rouquette adressa à M. Melh, à titre de rémunération gracieuse, un exemplaire des Chansons de Laborde. Cet ouvrage fut refusé par M. Melh, qui déclara qu'il n'entendait pas être ainsi payé de sa collaboration à la troisième édition du Guide Cohen. Les choses en restèrent là ; la troisième édition fut épuisée à son tour, et M. Rouquette chargea M. Cohen, revenu à la santé, de faire une quatrième édition de son Guide. Lorsqu'elle parut, M. Melh se considéra comme victime d'un plagiat littéraire, et assigna M. Rouquette et M. Cohen devant le tribunal civil de la Seine, en 10,000 francs de dommages-intérêts, avec demande d'insertion du jugement à intervenir dans dix journaux.

Me Engelhart, avocat de M. Melh, a soutenu qu'il y avait, de la part de M. Cohen et de M. Rouquette, une véritable contrefaçon ; qu'on lui devait d'abord le payement de son travail de la troisième édition, ensuite la réparation du préjudice qu'on lui avait causé en reproduisant ce même travail dans la quatrième édition, et ce sans autorisation. Il soutenait que M. Cohen avait servilement reproduit son travail dans cette quatrième édition, à laquelle il n'avait ajouté qu'un petit nombre d'articles nouveaux.

Au nom de M. Rouquette, Me Chaix d'Est-Ange a tout d'abord rappelé les faits de la cause.

M. Rouquette, dit-il, est l'éditeur du Guide connu de tous les amis des livres et cité dans tous les catalogues sous le nom de Guide Cohen. M. Cohen, qui avait publié sa première édition en 1870 n'est pas le premier venu. On n'a pas perdu le souvenir de ce calme et vieux savant, chercheur infatigable, amateur passionné de gravures et de vignettes, collectionneur patient de médailles. M. Cohen avait cédé son riche médaillier à l'État, et mérité d'être nommé conservateur des médailles à la Bibliothèque nationale. Il vivait là dans la paisible quiétude du savant, consacré tout entier à ses médailles et à ses recherches bibliographiques.

M. Cohen avait fait, sur la demande de M. Rouquette, les deux premières éditions du Guide de l'amateur de livres à vignettes du XVIIIe siècle, et il avait consacré à cette œuvre tout son amour et toute sa science. Lorsqu'il s'agit, en 1876, de préparer la troisième édition, M. Cohen était malade. Est-ce M. Rouquette qui a demandé à M. Melh, ou ce dernier qui a demandé à M. Rouquette de suppléer M. Cohen ? Là n'est pas la question du procès. Ce qui est certain, c'est que lorsque M. Melh entreprit le travail, il ne se considérait que comme un secrétaire de M. Cohen et chargé de son intérim ; et, à ce moment, plus modeste et plus juste qu'aujourd'hui, M. Melh ne voulait même pas que son nom fût inscrit sur le volume qu'il préparait. Il fallut l'insistance de M. Rouquette d'abord, de M. Cohen ensuite, pour le décider. Voici, à cet égard, une lettre qui n'est pas suspecte, car elle est produite par M. Melh lui-même :

« Monsieur,

« M. Rouquette m'a appris que c'est vous qui vous chargiez de la troisième édition de mon Guide, et que, par excès de modestie, vous ne vouliez pas y mettre votre nom. Or, comme personne n'est plus capable que vous de vous occuper de ce travail, veuillez croire que je me trouverai aussi honoré qu'heureux de voir, sur le titre de cette troisième édition, mon nom associé au vôtre.

« J'ai cherché ce matin une lettre que M. Sardou m'a écrite, il y a environ quinze mois, et dans laquelle il me signale une dizaine de suites de vignettes qu'il possède et qui appartiennent à des opéras-comiques du XVIIIe siècle, dont j'ai fait ressortir l'extrême rareté à propos de Zémire et Azor, de Marmontel et Grétry. Aussitôt que je l'aurai trouvée, je la remettrai à M. Rouquette, afin qu'il vous la communique, car il s'y en trouvera peut-être que vous ne connaissez pas, et je regarde ces vignettes comme très intéressantes. La lettre étant de M. Sardou, je vous serai très obligé de me la rendre après en avoir exprimé le suc. Ce serait aussi bien intéressant si vous pouviez découvrir à quels almanachs ou étrennes appartiennent ces jolies vignettes que j'ai notées à l'article Dambrun.

« Veuillez agréer, monsieur, l'assurance, de ma parfaite considération. « HENRY COHEN.

« Paris, 4 janvier 1876. »

La troisième édition du Guide Cohen parut avec le nom de M. Charles Melh ; mais, lorsqu'en 1880, elle eut été épuisée, c'est à M. Cohen que M. Rouquette s'adressa pour la quatrième édition. M. Cohen retrancha quelques-uns des articles publiés par M. Melh, il ajouta un grand nombre d'articles nouveaux, un tiers ou un quart en plus, en ayant bien soin de maintenir sur la couverture la mention du nom de M. Melh, et d'indiquer que son travail était conservé dans l'édition nouvelle.

M. Melh fut indigné. On crut d'abord que sa colère venait de ce que M. Cohen ne lui avait pas adressé un exemplaire de la quatrième édition ; mais il s'agissait de bien autre chose, et, dans une assignation, il se plaignait d'être victime d'un odieux plagiat, car on avait reproduit son travail sans son autorisation. Il demandait 10,000 francs de dommages-intérêts et l'insertion du jugement dans dix journaux.

M. Cohen écrivit alors la lettre suivante :

« Monsieur,

« Ce n'est qu'hier matin que j'ai reçu à la Bibliothèque l'assignation que vous m'avez envoyée mercredi, et qui y a sans doute été apportée, après l'heure de la fermeture. M. Rouquette m'a dit que vous êtes très irrité contre moi ; j'en suis désolé, parce que je n'ai jamais eu l'intention de vous blesser en quoi que ce soit. Si je ne vous ai point adressé d'exemplaires de la quatrième édition de mon Guide, c'est que j'ignorais absolument où vous demeuriez, et que M. Rouquette, que j'ai consulté à cet égard, n'a pu me renseigner davantage là-dessus ; et, en fait, ce n'est que par l'assignation que j'ai su votre adresse.

« Du reste, vous avez dû vous apercevoir, si vous avez jeté les yeux sur cette nouvelle édition, « dont je me croyais absolument en droit de faire la rédaction » (crayon rouge), avec quel scrupule j'ai toujours eu le soin de mentionner votre nom, ainsi que les additions que vous avez introduites dans mon ouvrage, toutes les fois qu'elles avaient une importance réelle, afin d'être à l'abri de l'imputation de vouloir m'approprier le travail d'autrui. Si j'ai fait quelques retranchements dans vos descriptions, ç'a été uniquement pour donner une couleur homogène à mon ouvrage, dont je tenais à conserver le texte primitif.

« J'ose donc espérer que, voyant l'extrême bonne foi avec laquelle j'ai agi, vous voudrez bien, non seulement arrêter les effets de votre assignation, mais me laisser entrevoir l'espoir, un jour ou un autre, de collaborer avec vous.

« Ayant été très gravement indisposé tout cet hiver, je vais partir après-demain pour la campagne, où je resterai quinze jours. Je me permets d'espérer qu'à mon retour je trouverai une lettre de vous, dans laquelle je serai justifié à vos yeux de ce que vous avez pu croire incorrect dans ma manière d'agir.

« Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de ma parfaite considération.

« Paris, 8 mai 1880. »

Il me semble que la colère de M. Melh aurait dû tomber devant une bonne foi aussi évidente. Toutefois, voici comment répondit M. Melh :

« Monsieur,

« J'ai le regret de vous annoncer que je n'arrêterai pas les effets de mon assignation, les procédés de M. Rouquette à mon égard, ainsi que les vôtres, ne me le permettant pas. Quant aux scrupules qui vous ont guidé dans les emprunts considérables que vous m'avez fait (sic), c'est au tribunal qu'il appartiendra de les apprécier. Dans tous les cas, permettez-moi de vous-le dire, les convenances de confraternité littéraire les plus élémentaires auraient dû vous imposer l'obligation de vous assurer de mon autorisation.

« J'ai confié mes intérêts, scandaleusement lésés, à Me Tricot, avoué, et c'est à lui qu'est réservée la mission de poursuivre avec diligence les diverses phases de mon assignation.

« 8 mai 1880, minuit. »

Me Chaix d'Est-Ange examine ensuite les diverses questions que soulève le procès et conclut que la somme de 800 francs qui a été offerte sera une réparation bien suffisante pour M. Melh.

Me Chenal, avocat, au nom des héritiers Cohen, a demandé la mise hors de cause de ses clients, en signalant qu'il n'y avait aucun lien de droit, entre ses clients et M. Melh.

Conformément aux conclusions de M. le substitut Rau, le tribunal a rendu le jugement suivant :

« Le tribunal,

« Attendu que, en 1873, Rouquette a publié un ouvrage intitulé Guide de l'amateur de livres à vignettes du XVIIIe siècle, revu, corrigé et enrichi du double d'articles, et donnant, entre autres augmentations, la liste complète des ouvrages de Le Sage et de Restif de la Bretonne, par Henry Cohen ;

« Que Melh réclame à Rouquette une somme de 4,000 francs pour le prix lui revenant dans la troisième édition, parue en 1876 sous le titre suivant : Henry Cohen. Guide de l'amateur de. livres à figures et à vignettes du XVIIIe siècle, 3e édition, entièrement refondue et considérablement augmentée par Charles Melh ;

« Qu'il demande de plus: 1° que Melh (i. e. Rouquette) et les époux Morin, héritiers de Cohen, soient tenus, en outre de dix insertions du jugement, de lui payer solidairement 6,000 francs à titre de dommages-intérêts pour la publication de la quatrième édition, datée de 1880 ; 2° qu'il soit fait défense à Rouquette et aux époux Morin de publier, sans son consentement, tout livre contenant, en totalité ou en partie, les renseignements ou documents ajoutés par lui dans la troisième édition, et qui ne figurent pas dans la deuxième, soit qu'il s'agisse d'exemplaires restés invendus de la quatrième, soit de toute autre édition ;

« Que par procès-verbal de Blanche, huissier à Paris, du 20 janvier 1881, enregistré, Rouquette a fait offres réelles d'une somme principale de 800 francs, que Melh a refusée comme insuffisante ;

« En ce qui concerne Rouquette ;

« Attendu que lors de la convention verbale passée entre Melh et Rouquette, au sujet de la troisième édition, les parties n'ont pas fixé de rémunération pour le demandeur ;

« Que Rouquette prétend que Melh se serait chargé gratuitement du travail, mais qu'il ne justifie pas cette allégation ;

« Que d'ailleurs il a, d'après ses propres déclarations, offert à Melh successivement deux exemplaires des chansons de Laborde, et en dernier lieu une somme de 800 francs ; 

« Attendu, d'autre part, que le nom de Henry Cohen est inscrit en tête du titre de la troisième édition reproduisant celui de la deuxième ;

« Que dans la préface, Melh désigne la troisième édition sous le nom de « Le Cohen » ;

« Qu'il énonce que Rouquette, devenu propriétaire de l'ouvrage, lui a confié le soin de la troisième édition, ajoutant : « Nous ne nous sommes pas borné, ainsi qu'il sera facile de le constater, en comparant cette édition à la précédente, à revoir le travail de M. Cohen, les rectifications nombreuses et les additions considérables que nous y avons apportées en ont fait une œuvre presque nouvelle »

« Que dans ces conditions, il n'apparaît pas que Melh prétendît composer une œuvre absolument personnelle, distincte de l'ouvrage Cohen, et dont il eût seul le droit de disposer ;

« Que Rouquette est tenu de rémunérer le travail de Melh, dont il a tiré profit dans la troisième édition faite sous la direction du demandeur, et dans la quatrième édition publiée par Cohen ;

« Que, d'après les renseignements fournis, la somme due à Melh doit être fixée à 1,000 francs ;

« Que, par ses dernières conclusions, Rouquette déclare qu'il entend ne faire aucun usage du travail de Melh pour la cinquième édition, ni pour toutes éditions ultérieures du livre dont s'agit ;

« En ce qui concerne les époux Morin

« Attendu que Melh n'a pas contracté avec Cohen

« Que c'est à raison de l'empêchement de ce dernier qu'il est intervenu pour la troisième édition ; qu'il n'y a mis son nom que sur l'insistance de Cohen ;

« Qu'il avait communiqué à celui-ci des documents utilisés par celui-ci dans la deuxième édition, et que le titre de la quatrième édition la mentionne comme « revue, corrigée et enrichie de toutes les additions de M. Charles Melh »

« Que ces faits démontrent que Cohen n'a commis aucune faute de nature à motiver une condamnation en faveur de Melh ;

« Par ces motifs,

« Déclare nulles les offres faites par Rouquette, le 3o janvier 1S81

« Donne acte aux parties de ce que Rouquette entend ne faire aucun usage du travail de Melh pour la cinquième édition, ni pour toutes autres éditions ultérieures du livre de Henry Cohen, intitulé Guide de l'amateur de, livres à vignettes du XVIIIe siècle ;

« Condamne Rouquette à payer à Melh 1,000 francs avec intérêts à 5 pour 100 du jour de la demande ; 

« Déclare Melh mal fondé dans le surplus de ses conclusions à l'égard de Rouquette, et dans sa demande contre les époux Morin, et l'en déboute ;

« Condamne Rouquette aux dépens envers Melh, non compris les frais auxquels donne lieu la mise en cause des époux Morin. »

Tribunal civil de la Seine (1ère chambre). Audience du 6 mai 1882. (Compte rendu de la Gazette des Tribunaux, 7 mai 1882.)


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(*) Article publié dans la revue Le Livre, Bibliographie Moderne, Gazette Bibliographique, livraison du 10 juin 1882.

(**) Les éditions successives du Cohen sont : 1ère édition : 1870, Paris, Rouquette. 1 volume in-8 de 156 pages. 2ème édition : 1873, Paris, Rouquette. 1 vol. in-8 de 273 pages. 3ème édition : 1876, Paris, Rouquette. 1 vol. in-8 de 618 colonnes. 4ème édition : 1880, Paris, Rouquette. 1 vol. in-8 de 591 colonnes. 5ème édition : Paris, Rouquette. 1 volume in-8 de 755 pages. 6ème édition : 1912, Paris, Rouquette. 1 volume in-8 de 624 pages sur 2 colonnes.

(***) M. Henry Cohen est né à Amsterdam le 21 avril 1806. spécialiste des monnaies romaines et auteur d'un catalogue des monnaies impériales qui fait référence dans les milieux numismatiques jusqu'à la publication du Roman Imperial Coinage au xxe siècle. Il s'est également illustré par ses travaux sur la bibliophilie et ses théories sur la musique. Il est mort à Bry-sur-Marne le 17 mai 1880. 

(****) M. Charles Melh est né en 1831 à Strasbourg. Après des études classiques au lycée, il embrasse une carrière dans l'administration à la préfecture du Bas-Rhin. Il y est tout d'abord chef de division, puis chef du bureau de la librairie et enfin chef de cabinet du préfet, le baron Pron. C'est lors de cette première carrière, vers 1856, qu'il devient l'ami épistolaire de Lorédan Larchey, bibliothécaire à la Bibliothèque Mazarine et journaliste​. Sa vie bascule avec la défaite de 1870. Il opte pour la France, s'installe à Paris pour faciliter la vie des Alsaciens exilés, mais se fait bientôt mettre en retraite du ministère de l'Intérieur. Abandonnant les mondanités, particulièrement le théâtre, qu'il appréciait, il contribue notamment à la fondation de l'association L'Alsace à table, et se consacre à l'enrichissement de sa collection d'alsatiques. Lorédan Larchey dit de lui qu'il mène alors une vie frugale, tout entière dévolue à ses livres, mais dévore tous les journaux. Bien qu'il ne fonde pas de famille, il est très entouré, notamment par l'éditeur Oscar Berger-Levrault et ses associés Jules et Charles Norberg, et d'autres optants installés à Paris. Il meurt à Versailles chez Mme Ackermann, veuve de l'un de ses amis, le 27 décembre 1896. Il est mort à Versailles le 27 décembre 1896 à l'âge de 65 ans.


Mise en ligne par Bertrand Hugonnard-Roche
pour le Bibliomane moderne le samedi 10 septembre 2022

Suite de 180 bois gravés pour la Vita Jesu Christi de Ludolf de Saxe (édition de Lyon, Giunta, 1522)

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Voici l'état complet des 180 bois gravés de format 2,5 x 2 cm pour l'édition de Lyon, Giunta, 1522 au format in-4. Outre ces 180 bois l'édition est ornée de deux autres bois de plus grande dimension servant pour le titre et le folio 1. Nous les donnons ici également.



Suite des 180 bois de format 2,5 x 2 cm.

Tous différents, ces bois illustrent de manière figurative et chronologique la vie du Christ.

Nous n'avons pas trouvé d'autres tirages antérieurs à 1522 pour ces mêmes bois pour cet ouvrage (d'autres bois ont été utilisés pour d'autres éditions de 1517, 1519, etc.).



















Deux bois gravés juxtaposés (utilisés pour la page de titre et réutilisés pour le folio 1).


Page de titre


Folio 1

Ce volume contient également de nombreuses lettrines à fond criblé ou autres lettrines décorées gravées sur bois.


Bertrand Hugonnard-Roche
Pour le Bibliomane moderne
Photographies Librairie L'amour qui bouquine

Des volumes manuscrits provenant de la collection Philidor-Toulouse. Un article signé Krypto.

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La vie des livres ainsi faite que parfois ils circulent rapidement. Etudions un petit exemple : des volumes manuscrits provenant de la collection Philidor-Toulouse.

Début février 2022, un manuscrit, copie tardive mais déjà ancienne de textes de Molière, apparait sur le site catawiki (le lien ne fonctionne plus depuis quelques jours) avec une fiche particulièrement courte : 

Manuscrit recensant les différents ballets donnés en l'honneur du roi Louis XIV entre 1666 et 1670.
"Balet des muses
Dansé par sa majesté à son château de St Germain en laye le 2 décembre 1666..."
[Provenance : Ancienne Bibliothèque du comte de Greffulhe à Thomery]

Ce manuscrit, estimé 600/800 euros a alors atteint 1200 euros le 13 février 2022, soit, avec les frais du site (9%) et les frais de port, un total d'environ 1320 euros.



Photos tirées de l'annonce catawiki


Dès le 6 avril, moins de deux mois plus tard, un libraire le propose sur son site, autour de 4000 euros (le prix n'est plus affiché), en précisant « A ce volume pourront se joindre les trois autres volumes qui restent de cette série, probablement divisée lors d'une récente succession. Les textes ne sont plus de Molière mais d'autres auteurs dont Isaac de Bensérade. ». L'exemplaire avait alors été rapidement vendu à un collectionneur.

On y apprend d'ailleurs dans la fiche qu'il fallait 8 volumes à cette série et on comprend aussi que le libraire a acquis 3 autres volumes au même vendeur, avec des textes moins intéressants.

En revanche, la fiche devient nettement plus fournie et explique mieux l'ouvrage, son intérêt, son parcours.




Photos tirées du site du libraire


Enfin, le 5 octobre 2022, les 4 volumes repassaient en vente, cette fois aux enchères publiques à Paris avec une estimation qui fait rêver : 12000/18000 euros. L'exemplaire a été truffé entre temps, par le collectionneur, de quelques documents supplémentaires. Commencé à 8000 euros, il est monté artificiellement à 8800 euros avant d'être retiré. Il est finalement marqué vendu à 9000 euros sur le site de la salle des ventes, certainement suite à une after-sale. Peut-être que, cette fois, les volumes ne ressortirons pas immédiatement.



Photos tirées du site Millon 



Images pour la publicité 


En revanche, il est intéressant de comparer les fiches ! Si les trois autres volumes sont décrits - ce qui n'a pas été fait par le libraire -, on remarque déjà une différence de collation pour le volume contenant les textes de Molière (191 ou 193p ? ). Mis à part ceci, il est amusant de constater que, sans citer la provenance récente, la fiche reprend quasi mot pour mot la fiche du libraire, auquel l'expert a évidemment eu accès : 


Fiche du libraire

Exceptionnel manuscrit contenant les textes seuls de Molière (sans les partitions) pour trois ballets qui furent jouées sur des airs de Lully.


Provenances :
  • Louis-Alexandre de Bourbon (1678-1737), comte de Toulouse, 1er duc de Penthièvre, fils de Louis XIV et de madame de Montespan. Avec ses armes sur les plats et son chiffre LA dans les caissons.
  • Louis-Jean-Marie de Bourbon (1725-1793), second duc de Penthièvre, son fils. 
  • Marie-Adélaïde de Bourbon (1753-1821), mademoiselle de Penthièvre, duchesse de Châtres puis d’Orléans, épouse de Philippe-Egalité, sa fille. 
  • Louis-Philippe d’Orléans (1773-1850), duc d’Orléans puis roi des Français, son fils. Cachet du Palais-Royal au début de l’ouvrage.
  • Catalogue de livres provenant des bibliothèques du feu roi Louis-Philippe. Deuxième partie. Paris, Potier, 1852. Vendu le 17 décembre 1852, n°921. 
  • Volume acheté vraisemblablement par Cretaine ou Payé, un des deux marchands français ayant acquis nombre de livres de la bibliothèque de musique du comte de Toulouse. Ils s’étaient partagé l’essentiel des volumes avec un marchand et collectionneur anglais, William Hope. La partie achetée par Hope est bien connue car elle fut rachetée par Sir Frederick Ouseley et dispersée en 1978.
  • Henry Greffulhe (1848-1932), collectionneur, modèle de Proust pour le duc de Guermantes. Il le conserva dans un de ses châteaux qui avait aussi appartenu au comte de Toulouse et l’y laissa quand il vendit ce château.
  • Château de …. jusqu’à ce jour.

Cette copie est réalisée vers 1703-1705, sous la direction du comte de Toulouse lui même et d’Anne Dalican Philidor (1681-1728), fils d’André et demi-frère de François-André, le fameux joueur d’échecs. André était alors Ordinaire de la Musique du Roi. On sait qu’au moins une douzaine de copistes ont travaillé à la bibliothèque de musique du comte de Toulouse.








Ce volume fait partie d’un ensemble de 8 volumes dédiés aux « anciens ballets » et porte la tomaison 8 sur le dos. Ces volumes étaient toujours ensemble quand ils ont été vendus en 1852 mais nous perdons la trace de 4 d’entr’eux. Seuls les tomes 2 à 4 et 8 semblent être restés ensemble jusqu’à ce jour (nous supposons que la série a été divisée lors d’une succession au XXe siècle).


Il est amusant de noter que Montespan et La Vallière jouent, avec Louis XIV, dans la mascarade espagnole de ce ballet (6e entrée) et jouent aussi dans la 13e entrée. La Vallière est toujours la maîtresse de Louis XIV qui ne connait que depuis très peu de temps Montespan. Cette dernière se rapprochera de La Vallière et c’est ainsi qu’elle rencontrera Louis XIV et deviendra la favorite à la place de son amie et de cette union naitra le comte de Toulouse.
Fiche de l'expert

Exceptionnels manuscrits contenant les textes seuls de Molière et Benserade (sans les partitions) pour ballets qui furent jouées sur des airs de Lully.

Provenances : Louis-Alexandre de Bourbon (1678-1737), comte de Toulouse, 1er duc de Penthièvre, fils de Louis XIV et de madame de Montespan. Avec ses armes sur les plats et son chiffre LA dans les caissons. (O.H.R. - pl. 2609 n°6 - répertorie les armes des plats comme appartenant à son fils Louis-Jean-Marie de Bourbon, second duc de Penthièvre (1725-1793), le comte de Toulouse portant généralement deux ancres en sautoir mais il est précisé que cette règle fut plusieurs fois enfreinte et que l'on retrouve ces armes à une ancre antérieurement à la naissance du duc de Penthièvre, comme c'est le cas ici.) / Marie-Adélaïde de Bourbon (1753-1821), mademoiselle de Penthièvre, duchesse de Châtres puis d’Orléans, épouse de Philippe-Egalité, sa fille. / Louis-Philippe d’Orléans (1773-1850), duc d’Orléans puis roi des Français, son fils (avec le cachet de la Bibliothèque du Roi au Palais-Royal au début de l’ouvrage ; cf. Catalogue de livres provenant des bibliothèques du feu roi Louis-Philippe. Deuxième partie. Paris, Potier, 1852. Vendu le 17 décembre 1852, n°921.) / Volume acheté vraisemblablement par Cretaine ou Payé, un des deux marchands français ayant acquis nombre de livres de la bibliothèque de musique du comte de Toulouse. Ils s’étaient partagé l’essentiel des volumes avec un marchand et collectionneur anglais, William Hope. La partie achetée par Hope est bien connue car elle fut rachetée par Sir Frederick Ouseley et dispersée en 1978. /Henry Greffulhe (1848-1932), collectionneur, modèle de Proust pour le duc de Guermantes. Il le conserva dans un de ses châteaux qui avait aussi appartenu au comte de Toulouse et l’y laissa quand il vendit ce château.


Ces copies furent réalisées vers 1703-1705, sous la direction du comte de Toulouse lui-même et d’Anne Danican Philidor (1681-1728), fils d’André (bibliothécaire et copiste de Louis XIV, Ordinaire de la Musique du Roi) et demi-frère de François-André, le fameux joueur d’échecs. Anne collabore avec son père dans ses fonctions de bibliothécaire de la Musique du roi à compter de 1702, et l'aide aussi à copier des partitions de la collection Toulouse-Philidor. Il est nommé ""garde de la bibliothèque de musique du roi"" en survivance. Au moins une douzaine de copistes travaillèrent à la bibliothèque de musique du comte de Toulouse.


Ces 4 volumes faisaient partie d'un ensemble de 8 volumes dédiés aux ""anciens ballets"" et porte les tomaisons 2 à 4 et 8 (celle-ci grattée en partie) sur les dos. Ces 8 volumes étaient toujours réunis lors de la vente de 1852 mais 4 d'entre eux disparaissent par la suite.






On retiendra pour l'anecdote la participation de Mme de La Vallière et Mme de Montespan avec Louis XIV à la mascarade espagnole du Ballet des Muses (6e entrée et 13e entrée) : la première, toujours maîtresse de Louis XIV, présentera alors au roi la seconde, qui prendra sa place de favorite et donnera naissance, entre autres, au comte de Toulouse.


Outre la travail de copie et parfois de réécriture, saluons tout de même un détail oublié par le libraire, mis en gras dans ce tableau ci-dessus : 

(O.H.R. - pl. 2609 n°6 - répertorie les armes des plats comme appartenant à son fils Louis-Jean-Marie de Bourbon, second duc de Penthièvre (1725-1793), le comte de Toulouse portant généralement deux ancres en sautoir mais il est précisé que cette règle fut plusieurs fois enfreinte et que l'on retrouve ces armes à une ancre antérieurement à la naissance du duc de Penthièvre, comme c'est le cas ici.).


Signé Krypto

Des livres dont la page de titre est entièrement imprimée en rouge !

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La Saxe galante.
A Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, 1734

Un jour j'avais eu le projet d'écrire un article (peut-être même l'ai-je déjà publié sur le Bibliomane moderne ... mais je ne le retrouve plus) qui traiterait du sujet suivant :

Des livres dont la page de titre est entièrement imprimée en rouge !
En voici un exemplaire pour cette édition de "La Saxe Galante" de 1734 publiée à l'adresse d'Amsterdam.
J'ai en tête la page de titre d'une édition du Pied de Fanchette de Rétif de la Bretonne (édition de 1769) également entièrement imprimée en rouge.
C'est une fantaisie d'imprimeur ou une volonté d'auteur, peut-être autre chose, mais la chose est curieuse, souvent esthétique, et notable.
En connaissez-vous d'autres exemples ? Il serait intéressant d'en dresser la liste exhaustive (est-ce seulement possible ?)


Le Pied de Fanchette (par Rétif de la Bretonne)
Imprimé à La Haye, 1769



Bertrand Hugonnard-Roche
Bibliomane moderne

Pour servir de complément et de correction à notre billet intitulé : Petite découverte bibliographique à propos des Confessions de Saint-Augustin de la traduction d'Arnauld d'Andilly (1649).

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Pour servir de complément et de correction à notre billet intitulé 

Petite découverte bibliographique à propos des Confessions de Saint-Augustin de la traduction d'Arnauld d'Andilly (1649) : Il n'existe pas de seconde édition à la date de 1649 chez la Veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit (de l'imprimerie d'Antoine Vitré).


Voici ci-dessous le message que nous a envoyé récemment Monsieur Jean-Marc Chatelai, Directeur de la Réserve des livres rares à la Bibliothèque nationale de France.

*******************

A l'attention de M. Bertrand Hugonnard-Roche (Bibliomane moderne)

Monsieur,

Un généreux donateur ayant tout récemment offert à la Réserve des livres rares de la BnF, département dont j'assure la direction, un exemplaire de la première édition de la traduction des Confessions de saint Augustin par Arnauld d'Andilly (Paris, Veuve Jean Camusat et Pierre Le Petit, 1649), laquelle manquait jusqu'à présent aux collections de la Bibliothèque, j'ai lu avec intérêt le billet de blog que vous avez consacré il y a quelques mois aux deux premières éditions de cette traduction fameuse, dans lequel vous concluez que ce qu'on nomme, sur la foi des exemplaires dont la page de titre porte une mention de "seconde édition", première et seconde édition, n'en sont en réalité qu'une : les deux pages de titre (très légèrement) différentes ne recouvriraient qu'une seule composition typographique.


Je me permets aujourd'hui de vous écrire car j'ai à mon tour comparé l'exemplaire de première édition qui vient de nous être donné avec un exemplaire portant la mention de seconde édition que la BnF conserve de longue date et dont vous trouverez ici la numérisation :   
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9617327d
Comme vous pourrez le constater à votre tour, la consultation de cet exemplaire numérisé invite à remettre en cause votre conclusion : de toute évidence, il existe bien deux éditions en 1649, c'est-à-dire deux compositions typographiques qui sont certes proches l'une de l'autre mais néanmoins différentes. Je n'ai pas encore eu le temps de le vérifier pour tous les cahiers, mais l'enquête que j'ai menée sur les dix premiers cahier du texte (cahiers A à K) montre qu'il y a eu pour chacun d'eux une nouvelle composition typographique. Je suis moins sûr que ce soit le cas pour les cahiers des pièces liminaires, ce qui laisserait à penser que les deux éditions se sont succédé dans un délai très court, mais cette hypothèse reste à vérifier.


Quoi qu'il en soit, je suis enclin à penser que les bonnes conclusions à tirer sont :
- que deux éditions successives ont paru au cours de l'année 1649 ;
- que le volume que vous possédiez au moment de la rédaction de votre billet de blog est un exemplaire de première édition ;
- que certains exemplaires de la première édition, à l'exemple du vôtre, ont été pourvus, par carton, d'une page de titre de seconde édition. Cette dernière hypothèse reste à fortifier en consultant un plus grand nombre d'exemplaires que ceux que vous et moi avons consultés. Je note toutefois que la présentation d'une édition sous un titre cartonné comportant une mention qui ne correspond pas à l'édition en question n'est pas sans exemple au XVIIe siècle : dans l'histoire de l'édition des Pensées de Pascal, on connaît le cas de la troisième édition, de 1671, dont la majorité des exemplaires présentent une page de titre cartonnée annonçant la seconde édition, à la date de 1670.


Toutes ces choses sont des minuties bibliographiques mais elles font le plaisir de nos professions respectives, et je vous remercie de m'avoir donné, par la lecture de votre billet de blog, l'occasion de le partager avec vous.


Cordialement,



Jean-Marc Chatelain
Directeur de la Réserve des livres rares
Bibliothèque nationale de France
Quai François-Mauriac
F-75706 Paris Cedex 13
Tél. + 33 (0)1 53 79 54 50
Fax + 33 (0)1 53 79 54 60

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Nous ajoutons quelques pages de l'exemplaire de "seconde édition" numérisé sur Gallica comparées aux mêmes pages de notre exemplaire de manière à convaincre qu'il existe bien des exemplaires de seconde édition avec des différences de justification et d'ornements quand il existe également des exemplaires de l'édition originale, tels que le nôtre, avec une page de titre de relais avec fausse mention de "seconde édition".

Un très grand merci à Monsieur Chatelain pour ces éclaircissements qui ajoutent un peu à l'histoire de cet ouvrage.

Bertrand Hugonnard-Roche,
Bibliomane moderne

 

Page 141 de l'exemplaire de "seconde édition" de la Bnf (Gallica)



Page 141 de notre exemplaire de "seconde édition"




Page 220 de l'exemplaire de "seconde édition" de la Bnf (Gallica)


Page 220 de notre exemplaire de "seconde édition"




Page 307 de l'exemplaire de "seconde édition" de la Bnf (Gallica)



Page 307 de notre exemplaire de "seconde édition"



Histoire rigolote et pas si drôle d'un petit livre à succès : La Saxe Galante. A Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, 1734. 1 volume petit in-8. "La bonne édition, avec le titre imprimé en rouge" (mon œil !)

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Il faut parfois se faire une raison ; si j'avais du croire tout ce que les bibliographes et aultres sachologues bouquiniers avaient écrit sur les livres anciens qui me sont passés entre les mains depuis presque trente ans maintenant, j'aurais fini boulanger ou maçon ! Et quel plus beau métier que boulanger ? quel plus beau métier que maçon ? alors boulanger-maçon, je ne vous dis que ça !

Bref, autour d'un simple ouvrage dont je vais essayer de vous faire le résumé historico-comique des trouvailles éparses des sacheux, La Saxe galante, volume publié sous l'adresse d'Amsterdam "Aux dépens de la Compagnie" et sous la date de 1734, me voici entraîné dans un tourbillon d'études, analyses, descriptions, pour lesquel(les) je dois bien l'avouer, je suis carrément perdu ! (turlututu).


Description sommaire de mon exemplaire.

LA // SAXE // GALANTE. // [fleuron portant la devise latine : VIS UNITA MAJOR] // A AMSTERDAM, // AUX DEPENS DE LA COMPAGNIE. // M D CC XXXIV.

Collationné : 1 feuillet de titre imprimé entièrement en rouge ; 1 feuillet blanc ; 416 pages chiffrés. Signature des cahiers en in-8°. La page 1 a un bandeau d'en-tête gravé sur bois avec médaillon central resté vide ; Petit ornement répété sur la même page 1 formant une ligne juste avant le début du texte ; à la fin du volume, à la dernière page (416) on trouve un fleuron gravé sur bois servant de cul-de-lampe final. Il n'y a aucun autre ornement dans le volume.

Particularité matérielle à signaler : les cahiers E, F, G et H sont imprimés en plus petits caractères avec une justification réduite également. Tout le monde s'en fout mais fallait le noter.


Notre exemplaire a été relié au milieu du XIXe siècle ou un peu après en maroquin bleu nuit janséniste. La reliure bien que d'excellente facture, n'est pas signée.

Les bases sont posées.

Quid de cette Saxe galante ?

Pour commencer disons tout de suite que cet ouvrage fut un succès avec pour la seule année 1734 plusieurs impressions. On notera une impression en deux volumes in-12 étroits (avec également les titres entièrement imprimés en rouge), une impression avec le titre en noir, une impression avec le titre en rouge et noir. L'ouvrage sera réimprimé encore en 1735, 1736 et encore une fois en 1763. Succès immédiat donc qui s'est estompé rapidement pour finir aux oubliettes de la littérature légère.

Je ne vais pas vous refaire l'histoire de ce texte, d'autres l'on déjà fait avant moi et concluons seulement en disant qu'il s'agit du récit des amours et des galanteries à la cour de Saxe sous le règne de Auguste le Fort ou Auguste II de Saxe, fils de Jean-Georges III de Saxe et de Anne-Sophie de Danemark. Pour la faire courte, Auguste le costaud l'était surtout avec les dames (très vigoureux parait-il) et ses nombreuses maîtresses encombraient les palais et les remises de jardiniers. La cour de Saxe imitait en cela Versailles et la France galante qui savait donner l'exemple.

Mais voilà-t-y pas qu'on nous explique que cette Saxe galante n'est autre qu'un vulgaire plagiat de la Princesse de Clèves de notre indéboulonnable Madame de La Fayette (celle qui errait dans les galeries du même nom) ! Et il est vrai, le texte commence avec les mêmes mots ou tout comme : "La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en Allemagne avec tant d'éclat, qu'en Saxe ; mais particulièrement sous les règnes de Jean-Goerges IV et Frédéric-Auguste, etc." Bon moi je veux bien que ce soit un plagiat de la Princesse de Clèves, mais après tout de même la comparaison est bien difficile, les phrases identiques, etc. Personnellement je n'ai rien trouvé de plagié sur la composition textuelle de la Princesse de Clèves. C'est le libraire Anatole Claudin, en 1867, qui lança le premier cette idée (pas folle la guêpe). Elle fut ensuite reprise et reprise encore, et encore récemment par quelques sachants (des petits, des grands). Soit ! Sans doute ces étudiants textophiles ont-ils raison. En tous les cas, et à titre personnel, ne faisant pas partie du lobby pro-La Fayette, je dois dire que la Saxe Galante est bien plus intéressante à lire aujourd'hui que les mornes pages historico-cucu-pralinesques des amourettes intorrides bien insipides sous le règne d'un Henri de France. Mais chacun se fera son idée (si chacun a le courage de replonger en apnée et sans tuba dans la Princesse anesthésiante. O ! j'entends d'ici les cris d'or frais (et moins frais d'ailleurs - c'est plus mou que l'or dur) de générations entières de mammouths hypocagnesques. Je dis hola ! Je pense donc je suis. C'est Descartes (encore lui) qui l'a dit ! On respecte. Merci.


Donc. Ce texte est attribué au baron de Poellnitz (1692-1775), chambellan à la cour de Prusse. Il devait savoir de quoi il retournait (toujours référence aux remises de jardiniers si vous voyez). On a attribué ce texte à un autre, mais à priori c'est pas lui (alors que personne n'en sait rien en réalité). Ce qui fait tout de même beaucoup d'incertitudes autour d'un livre réimprimé 5 ou 6 fois en 2 ans ! Ce volume a dû se dévorer tout cru dans les allées des châteaux de toute l'Europe. On a lu quelque part que ce volume (ou une autre édition de 1734) avait été interdite à Leipzig. Visiblement cela n'a servi à rien. Le texte s'est propagé. 

Que dire de plus sur cet ouvrage sinon qu'il me plait bien. On peut ajouter que les bibliophiles du XIXe siècle l'appréciaient également, pour l'avoir vu dans de nombreuses belles bibliothèques de livres rares,  catalogué à l'époque. Aujourd'hui son sort est moins glorieux. L'Histoire amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin conserve encore un peu de son aura tandis que la Princesse des Galeries (La Fayette) elle, conserve intacte son imaginaire scolaire des professeurs qui dictent et des élèves qui obéissent mais qui ne lisent plus. Sans doute faudrait-il, en 2022, rapper la Princesse, rapper la Saxe galante, pour espérer un succès d'estime. Qui s'y essayera ? Yo ! Yo ! Pas moi.

Je serais curieux de dresser la liste exhaustive de toutes les éditions de cette Saxe galante. Peut-être vais-je essayer, pour le fun ! Les sachants ayant déjà fait tout le boulot, sans doute sans avoir eu en mains un seul exemplaire des éditions anciennes. Vae Victis !

PS : j'ai essayé de faire encore plus BorisViantesque que nos amis G. O et P. S. mais je suis certain d'avoir lamentablement échoué (sur une île paradisiaque remplie de nymphettes non-wokées).

A bientôt pour de nouvelles aventures bibliofollesques !

Bertrand Hugonnard-Roche

Bibliomane moderne

17 pointes sèches coloriées au pinceau ... vers 1930. Ou quand un curiosa est très très rare ... pour archivage.

Un curiosa ... pour deux couvertures ! 7 Nuits d'Amour ou le pucelage gagné. Par le Docteur Sapiens. Au Péché rose.

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Couverture de type A                        Couverture de type B


Voici encore une fois un curiosa qui n'a pas livré tous ses secrets, pour ne pas dire aucun !

De format 27 x 21 cm. En feuilles ou broché, 28 pages seulement, 7 illustrations hors-texte en couleurs, 16 compositions tirées en bistre dans le texte (en-têtes et culs-de-lampe), une vignette de couverture ... et deux couvertures ! oui ! deux couvertures différentes pour le même ouvrage. Seul le hasard d'avoir en mains un exemplaire de chaque aura permis de se rendre compte de cette particularité. 

Son titre : 7 Nuits d'Amour ou le pucelage gagné.

Son auteur : Docteur Sapiens

Son éditeur : Au Péché rose

Date d'impression : inconnue

Lieu d'impression : inconnu

Tirage : 300 exemplaires destinés à des bibliophiles amis et 10 exemplaires hors commerce destinés à l'auteur, l'illustrateur et l'éditeur. Mention imprimée à la fin de l'achevé d'imprimer : Exemplaire N° (numérotation au composteur sur 5 chiffres) réservé à M. (le nom est soit laissé en blanc soit écrit à la main).

Couverture des exemplaires de type A : couverture imprimée sur papier fort de couleur crème. Le "7" et le mot "Amour" ainsi que "ou le pucelage gagné" et "Au Péché rose" sont imprimés en rose. Vignette imprimée en noir. Le reste du texte de la couverture est imprimé en noir. Le dos et le second plat sont vierges de toute impression.

Couverture des exemplaires de type B : couverture imprimée sur papier glacé blanc. Le nom de l'auteur et le lieu fictif d'édition sont imprimés en noir. Le reste du texte et la vignette sont imprimés en or.

La vignette de type A représente une femme allongée sur le dos avec sa chevelure étalée, un homme embrassant son visage.

La vignette de type B représente un couple nu sur le bord d'un lit.

L'intérieur des deux volumes est strictement identique. Le texte est imprimé en noir et bleu.

Quelle couverture a la priorité d'impression sur l'autre ? Nous ne savons pas.

Jean-Pierre Dutel dans sa Bibliographie des ouvrages érotiques publiés clandestinement en français entre 1920 et 1970, sous le n°2392 décrit un exemplaire de type B avec la couverture imprimée en noir et or.

Dutel donne une date d'impression au début des années 1950. Rien d'autre.

Quid de l'auteur ? Quid de l'illustrateur ? Rien. Il semble que personne ne se soit risqué à évoquer un nom, pour l'un comme pour l'autre.

Les illustrations sont dans le style de Paul-Emile Bécat mais ne sont évidemment pas de cet artiste. Il y a un souci du décor assez soigné.

Le texte quant à lui nous semble, ma foi, d'assez bon ton bien très libre et contenant moult noms d'oiseaux rares du domaine curiosa.

Nous n'avons rien trouvé d'autre sur cet ouvrage qui se rencontre assez rarement. Nous avons la chance d'en avoir deux exemplaires en mains sans jamais l'avoir eu pendant les vingt-cinq années précédentes.

Nous donnons dans cet article la plupart des illustrations de l'ouvrage ainsi que les deux types de couvertures.


















Toute information sur cet ouvrage sera la bienvenue et fera le bonheur des curiosaphiles.

Excellente journée à tous,

Bertrand Hugonnard-Roche
Bibliomane moderne 

Avis de recherche posthume : Roseline Bertrand, illustratrice. Qui était-elle ? Une inconnue qui avait du talent ? Un pseudonyme ?

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Roseline Bertrand, illustratrice. Inconnue au bataillon des artistes de l'époque de l'entre-deux guerres ... Il semblerait que cette illustratrice ne soit connue que pour avoir imagé un seul ouvrage, à savoir : TRENTE-DEUX POEMES D'AMOUR, recueillis par Paul Reboux et illustrés par Rosine Bertrand (et Paul-Emile Bécat -suite tirée à part), Le Livre Précieux, Paris, s.d. (Marcel Lubineau, 1937). Rien d'autre ? Qui était-elle ? (à supposer qu'il s'agit de son véritable nom)? Nous n'en savons rien et n'avons rien trouvé sur elle.

Si vous trouvez quelque information à son sujet n'hésitez pas à nous écrire à contact@lamourquibouquine.com

Voici une suite des illustrations données sous le nom de Roseline Bertrand. La seconde image est un dessin original signé de son nom.

A bientôt

Bertrand, Bibliomane moderne

















De la Responsabilité des commissaires-priseurs et de leurs experts vis-à-vis des acheteurs, par Cosmo le chien de l'espace.

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Notre article reprend en partie l'article du site Mr Expert qui est très bien fait sur le sujet et auquel on peut se reporter aussi.

Le but n'est pas de pointer du doigt les commissaires-priseurs en tant que tels. Pour faire une phrase bateau : il y a de tout, des gens bien et des requins, des honnêtes et des escrocs. 

Le but de cet article est de donner un peu de contenu juridique à nos lecteurs afin de bien comprendre où est la responsabilité en cas d'erreur, afin de savoir quand et comment faire entrer la responsabilité du commissaire-priseur en cas de litige. Il est rédigé par un habitué des salles des ventes, en tant qu'acheteur, vendeur et même collaborateur. 

Il est régulier que les salles des ventes, en particulier en l'absence d'expert mais souvent aussi en présence d'expert, fassent des erreurs, souvent dans les deux sens (mais parfois aussi toujours dans le même sens chez certains...).

Ainsi combien de lecteurs pourraient nous dire : « J’ai trouvé ceci dans le lot, ce n'était même pas décrit ». Par exemple, les lecteurs de ce blog étant surtout intéressés par le livre, combien de lecteurs pourraient dire : « j'ai acheté ce livre, la fiche n'indiquait pas la suite des gravures »... Evidemment, aucun n'ira faire une réclamation. La salle des ventes est responsable, tant pis pour eux et pour le vendeur (le vendeur pourrait toutefois se retourner contre la salle dans certains cas mais c'est un autre problème qu'un autre article pourrait éventuellement étudier).

De la même manière, combien de lecteurs pourraient prendre l'exemple de livres ou documents mal décrits, donnant lieu à des litiges ? Certainement autant... 

Notons que j'utiliserai indifféremment « salle des ventes » et « commissaire-priseur » pour parler de cet interlocuteur. 

Abordons donc l'aspect juridique :

Un achat en salle des ventes relève tout d'abord de l'exécution d'un contrat :

Comme dans tout contrat, la responsabilité de chaque individu peut être engagé. Cela vaut d'ailleurs aussi pour les libraires. Il y a deux type de manquements : 

Ainsi une erreur dans la description relève-t-elle de l'exécution du contrat puisque les obligations du commissaire-priseur portent sur l'organisation des ventes et la description des objets proposés. Notons qu'en présence d'un expert, la responsabilité est partagée par l'expert ET le commissaire-priseur, tout le monde devant avoir souscrit une assurance professionnelle. Toutefois, l'interlocuteur de l'acheteur est uniquement le commissaire-priseur (qui lui se retournera contre son expert). 


Délai légal (prescription) :

Autrefois de 10 ans, ce délai est rapporté à 5 ans depuis 2011 (article L.321-17 du Code du commerce). Quelle que soit l'action que l'acheteur voudrait intenter contre le commissaire-priseur, il a donc 5 ans à partir de l'adjudication pour poursuivre la salle des ventes (à défaut d'accord à l'amiable, la meilleure solution dans tous les cas).

Une phrase de cet article du Code de commerce est à garder en mémoire : 

« Les clauses qui visent à écarter ou à limiter leur responsabilité sont interdites et réputées non écrites ».

Cet article est très important car bien souvent les salles des ventes, pour décourager les tentatives de règlement à l'amiable ou de poursuite vous rétorquent des arguments du genre : 
  • les lots devaient être consultés avant la vente.
  • le lot a été donné à un professionnel.
  • le lot a été vérifié quand il a été donné.
  • la personne ayant récupéré le lot a signé un bon de décharge. 
  • cela fait six mois/ un an/ deux ans/ etc. (mais moins de cinq ans !).
  • le vendeur a déjà été payé et son dossier est clos.
  • etc.
Cette liste est non exhaustive mais donne déjà une idée de ce que peut vous dire la salle des ventes. Tout cela est nul à partir du moment où votre bordereau ne concorde pas avec l'objet. Il ne faut jamais se laisser impressionner par leurs arguments. 

Attention toutefois, dans le domaine du livre par exemple, aux ventes non collationnées clairement estampillées qui se développent. Il est ici plus difficile de contredire la salle des ventes.

Notons l'argument fallacieux par excellence : le vendeur a déjà été payé et son dossier est clos.
Peu importe ! Si le vendeur est payé, la salle des ventes ne pourra pas en profiter pour récupérer la somme auprès du vendeur et annuler totalement la vente. A partir du moment où le vendeur est payé, la salle des ventes (et son éventuel expert) sera seule responsable et devra assumer son erreur (sauf dans le cas où le vendeur aura volontairement voulu tromper, ce que j'ai déjà vu plusieurs fois).

Cela me permet d'ailleurs de vous signaler le corollaire : vous avez vendu un objet en salle des ventes (sans tromperie), vous avez été payé. L'affaire est définitivement réglée pour vous. Si la salle des ventes essaye que vous leur rendiez l'argent en raison d'une erreur, il faudra toujours refuser, ce n'est pas à vous d'être responsable de leur erreur.

Que faire en cas de refus de la salle des ventes ?

Avant de partir en justice, il convient de saisir le Conseil des ventes via la page dédiée aux réclamations. Normalement cela suffit. 

Quelques remarques :

Comme me l'a récemment dit un commissaire-priseur que j'estime particulièrement pour sa droiture, une salle des ventes qui refuserait un remboursement alors qu'il y a non concordance entre l'objet et le bordereau est forcement malhonnête et ne peut que perdre devant le Conseil des ventes.

A titre personnel, j'estime qu'en cas d'erreur de la salle des ventes (et de son expert), c'est à eux de prendre en charge les frais occasionnés par le contrat non rempli. Bien souvent, l'acheteur fait revenir à ses frais l'objet et n'est remboursé ni des frais d'envoi ni des frais de retour. 

Six mois, un an ou plus (mais moins de cinq ans toujours), c'est long pour se rendre compte d'un problème, certes, mais malheureusement pour les salles des ventes : dura lex sed lex. Il faut savoir assumer ses erreurs quand le client est dans son droit.

Signé Cosmo,



Pierre Lebrun (1785-1873) ou le romantisme académique. Exposition bibliothèques Mazarine & de l'Institut (23 Quai de Conti 75006 PARIS). Du 27 septembre au 25 novembre 2023.

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Bonjour à vous.

Nous avons le plaisir de vous annoncer que les bibliothèques Mazarine & de l'Institut présentent actuellement une exposition intitulée "Pierre Lebrun (1785-1873) ou le romantisme académique" et vous prions de trouver ci-joint le dossier de presse la concernant.

 

En vous remerciant par avance de la communication que vous pourrez assurer autour de cette exposition, et restant à votre disposition pour toute question.

 

Bien cordialement,



Mélanie Pereira

Bibliothèques Mazarine & de l'Institut

Assistante du directeur


+ 33 1 44 41 44 66

melanie.pereira@bibliotheque-mazarine.fr

23, Quai de Conti 75006 Paris

www.bibliotheque-mazarine.fr

www.bibliotheque-institutdefrance.fr/


Voici le dossier de presse :


La suite du dossier de presse est à télécharger ICI

Bonne visite,

Bertrand Hugonnard-Roche
Le Bibliomane moderne

Illustration remarquable Art Déco. Une suite complète de 25 eaux-fortes (pointes sèches) rehaussées en couleurs au pinceau pour le centenaire de la parution de l'édition René Kieffer des Bijoux indiscrets de Diderot (achevé d'imprimer le 30 mars 1923).

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Le 30 mars 1923, il y a tout juste un peu plus d'un siècle, s'achève l'impression, chez Coulouma à Argenteuil (H. Barthélemy, directeur), des Bijoux indiscrets de Diderot dans une superbe édition commanditée par l'éditeur-relieur d'art René Kieffer installé au 18 rue Séguier à Paris.

Cette jolie édition au tirage limité à 600 exemplaires est richement illustrée de 25 eaux-fortes coloriées au pinceau de Sylvain Sauvage. De format in-4 (27 x 20,5 cm), le tirage se décline ainsi :

50 exemplaires avec 4 états des planches dont l'eau-forte pure et une aquarelle originale, numérotés de 1 à 50.

35 exemplaires avec 3 états des eaux-fortes, numérotés de 51 à 85.

15 exemplaires avec 2 états des eaux-fortes, numérotés de 86 à 100.

500 exemplaires avec l'eau-forte coloriée, numérotés de 101 à 600.



Il est intéressant de noter qu'il n'est pas fait mention du papier utilisé pour chaque tirage. On supposera qu'il s'agit du même papier pour tous les exemplaires. L'exemplaire du tirage à 500 que nous avons sous les yeux est imprimé sur beau papier filigrané "(P. F. B.) Editions René Kieffer". C'est un papier vélin de cuve (sans vergeures ni pontuseaux), fait main donc, qui ressemble à un papier type Madagascar. Les gravures sont tirées sur ce même papier légèrement teinté. Dans notre exemplaire c'est un papier qui est resté sans rousseurs et qui a très bien vieilli. D'après nos recherches ce filigrane P. F. B. indique un papier sorti des papeteries Barjon Moirans. Moirans est un petit bourg situé en Isère non loin de Rives, aussi connu pour ses papeteries, ici Papeteries Barjon de Moirans (P. F. B.).

Pour la petite histoire de cette papeterie qui produisait, nous en avons ici la preuve, un papier de très grande qualité, disons en quelques mots que c'était la famille Michon du Marais qui était propriétaire de cette papeterie à Moirans qui s'appelait désormais Barjon. Ils étaient héritiers d’un moulin en activité depuis le XVIe siècle. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Papeteries Barjon ont fourni du papier à la résistance. Les papeteries Barjon cessèrent leur activité en 1977. Elles employaient 200 salariés en 1970. On sait donc que cette papeterie de l'Isère fabriquait du papier de luxe spécialement pour d'éditeur et relieur parisien René Kieffer.



Mais ce qui nous intéresse avant tout ici ce sont les 25 compositions de Sylvain Sauvage pour cette belle édition des Bijoux indiscrets. 

Cette édition et la suite qui l'ornemente ont toutes deux aujourd'hui dépassé l'âge vénérable de cent ans ! Cela valait bien le temps de prendre la peine de numériser l'intégralité de cette suite qui illustre avec humour et talent un des textes libertins majeurs de Denis Diderot (publié pour la première fois en 1748 de manière clandestine comme toutes les éditions anciennes d'ailleurs).

Un résumé des Bijoux indiscrets permettra à lecteur de ce billet de mieux appréhender la qualité des illustrations. Sylvain Sauvage (1888-1948) signe ici encore une fois un travail puissant et spirituel. Sylvain Sauvage fut l'un des Grands Maîtres du trait Art Déco.

Cette allégorie, qui est la première œuvre romanesque de Diderot, dépeint Louis XV sous les traits du sultan Mangogul du Congo qui reçoit du génie Cucufa un anneau magique qui possède le pouvoir de faire parler les vulves (« bijoux ») des femmes. Mangogul essaie trente fois la bague, dévoilant les secrets intimes des femmes de sa cour et de son royaume, généralement pendant leur sommeil. Il partage les résultats de ses enquêtes avec sa favorite, Mirzoza, qui est elle-même perpétuellement inquiète d'être la victime de la bague. Il faut dire que peu sont épargnées : essentiellement les femmes de la cour, avec leurs différents caractères (la prude, la coquette, la joueuse, la manipulatrice...), leurs différentes extractions (de la haute noblesse à la petite bourgeoise) et leurs origines diverses (l'Anglaise, la Française, l'Italienne, la Turque). Décrivant les mœurs de la cour du point de vue du désir féminin, le roman dresse le tableau d'une société libérée, où l'on multiplie les partenaires sexuels, où les apparences sont trompeuses et où la véritable tendresse est rare. Les entretiens de Mangogul, de sa favorite et de quelques personnages, sont parfois racontés sous forme de bilan sur les différentes formes d'amour, quelquefois sans rapport avec l'intrigue. Une place est également réservée aux débats d'idées au sein de la société française de l'époque : éloge de Voltaire, histoire des mathématiques, sort des jansénistes, etc. C'est aussi une satire du règne de Louis XV et de ses frasques libertines.

Bonne visite !



























Bertrand Hugonnard-Roche,
Bibliomane moderne

Mis en ligne le lundi 4 décembre 2023

Connaissance de la bibliophilie et de la librairie ancienne par la carte postale ancienne : Librairie Emile Nourry, 62, Rue des Ecoles, Paris. 27 avril 1926. "Monsieur, j'ai le regret de vous informer que les ouvrages que vous aviez bien voulu choisir sur mon catalogue étaient vendus avant la réception de votre demande [...]"

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Bonjour à tous,

la bibliophilie est fait de petits rien, ce petit billet en est la preuve. Une simple carte postale ancienne envoyée par un libraire ... à son client bibliophile.

Cette carte postale est intéressante néanmoins à plus d'un titre et j'ai pensé que vous seriez heureux d'en avoir copie archivée ici sur la page du Bibliomane moderne.


Le recto montre en photographie en noir et blanc la façade de la librairie E. NOURRY avec devant la porte très certainement Emile Nourry lui-même, une femme (la sienne ?), un commis et un peu plus sur la droite un homme portant une casquette (sans doute également lié à la librairie E. NOURRY). Ce recto est légendé imprimé comme suit : PARIS - Rue des Ecoles (près le Boulevard Saint-Michel)


Le verso porte le cachet en date du 27 avril 1926. En haut à gauche un tampon à l'encre violette donnant l'adresse de la librairie : LIBRAIRIE E. NOURRY 62, Rue des Ecoles, R. C. Seine 334-433 Paris Ve. A droite un autre cachet à l'encre noire : CHEQUES POSTAUX DEMANDEZ L'OUVERTURE D'UN COMPTE COURANT [cachet d'affranchissement postal]. Le verso est divisé en deux volets. A gauche est imprimé un texte de correspondance comme suit :

Monsieur,

J'ai le regret de vous informer que les Ouvrages que vous aviez bien voulu choisir sur mon Catalogue étaient vendus avant la réception de votre demande.

Nous serons, je l'espère, plus heureux une autre fois.

Veuillez agréer, Monsieur, mes bien sincères salutations.

Emile NOURRY,
62, Rue des Ecoles.

à droite a été rédigé, de la main du libraire E. NOURRY ou bien de celle d'un de ses commis, l'adresse du malheureux bibliophile, comme suit :

Monsieur Descelers
13 rue de Dunkerque
Saint-Omer
(Pas-de-Calais)

Cette carte a été affranchie au verso d'un timbre "Semeuse" de 20 centimes.

Voilà, c'est à peu près tout ce que je peux dire en regardant cette jolie carte postale de librairie ancienne. La Librairie Emile Nourry est assez connue pour ne pas revenir sur cette instution parisienne qui proposait de très belles éditions anciennes. Notre ami Jean-Paul Fontaine a fait tout le travail sur l'historique de cette illustre maison sur son blog Histoire de la Bibliophilie. Voici le lien pour lire son étude ICI.

L'information que nous avons en plus ici est qu'il avait pour client un certain Monsieur Descelers qui habitait 13 rue de Dunkerque à Saint-Omer dans le Pas-de-Calais. Nous avons retrouvé la trace de cette famille Descelers à Saint-Omer. Il nous manque le prénom de ce monsieur pour pouvoir le retrouver en toute certitude.

A noter que la carte postale que le libraire E. NOURRY envoyait à ses clients en guise d'excuse d'indisponibilité des ouvrages commandés était exclusivement imprimée en réponse à des Messieurs. Les dames bibliophiles existaient pourtant probablement ... existai-il des cartes spécifiquement imprimées pour les clientes de la librairies ? Il faudra en rencontrer une pour le savoir ...

A bientôt

Bertrand Hugonnard-Roche
Le Bibliomane moderne (*)


(*) ce billet est également publié sur la page le Bibliomane moderne
sur notre site de Librairie L'amour qui bouquine

Les bouquinistes et les bouquineurs pris sur le vif. Photographie sur plaque de verre (négatif positivé numériquement). Vers 1935-1940 ?

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Un étal de bouquiniste (marchand d'estampes) sur les quais de la Seine à Paris, vers 1935-1940

Plaque de verre négative positivé numériquement

Coll. privée. Source internet. Consulté le 18 mars 2024.

Les (ultimes) jérémiades de Rétif de la Bretonne in Conclusion où il n'est question que de l'Auteur, le 14 Messidor, an 8 (texte imprimé placé à la fin de la très rare cinquième édition du Pied de Fanchette ou le Soulier couleur de rose (Paris, chez Cordier et Legras, imprimeurs-libraires, An VIII). Notes personnelles ...

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Page de titre de la troisième partie de la cinquième édition du
Pied de Fanchette. A Paris, chez Cordier et Legras, imprimeurs-libraires,
rue Galande, N°50, AN VIII (1800)

Voici les uniques notes personnelles ajoutées par Rétif de la Bretonne dans la troisième partie de la cinquième édition du Pied de Fanchette publié en l'an 8 (1800) chez Cordier et Legras, imprimeurs-libraires, rue Galande, n°50. Cette édition était très rare et il nous a semblé utile de reproduire ces jérémiades rétiviennes jusque là restées peu connues du public. En cette année 1800 Rétif de la Bretonne semble être plus que jamais dans une situation financière et morale difficile. Il fait état de ses problèmes dans ces trois notes. Il semble que ses accès paranoaïques soient à leur comble et qu'encore une fois tout se ligue contre lui, auteur méprisé et vieillissant. En 1800 Rétif de la Bretonne est âgé de 66 ans. Il mourra le 3 février 1806 au 16 rue de la Bûcherie à Paris, dans le plus grand dénuement. La première et longue note présentée ci-dessous, comme il est explicitement imprimé par Rétif de la Bretonne, sert de Conclusionà cette cinquième et ultime édition du Pied de Fanchette.


 

Conclusion où il n'est question que de l'Auteur, le 14 Messidor

an 8 (3 juillet 1800). (Il a composé cet Ouvrage en 1768.)(1)


Un rien, un accident prévu, porte dans l'âme la douleur et le découragement. Ce qui m'arrive aujourd'hui n'est rien : c'était un avantage non attendu : hier encore, je disais tranquillement : Il faut que j'use de ma carte d'entrée aux spectacles (2) ; je ne l'aurai peut-être pas long-temps .... Je la perds, et j'ai l'âme troublée !.... C'est qu'elle m'est retirée par un scélérat perfide, qui m'ayant enlevé mon occupation, achèvera de me faire perdre considération et appointemens. Infortuné vieillard ! fait pour la liberté, et qui ne peux vivre que dans l'esclavage ! ta timide défiance de toi-même, ton inactivité pour tout ce qui demande que tu te mettes en avant, te perdra ! Dans une foule, tu as toujours été le dernier : tu admirais l'audace ou l'adresse de ceux qu'on ne peut écarter, à la porte même des spectacles. Dans les sections, quand il y en avait, tu te tenais toujours à l'écart ! Jamais tu ne t'es présenté ! Les autres seuls t'ont porté ! Ce sont les autres qui ont apprécié tes ouvrages ; qui ont dit au monde que tu valais quelque chose. O mon pauvre Nicolas ! tu voudrais être encore plus âgé que tu ne l'es, pour te cacher dans le tombeau !.... Tu vas tout perdre ! Que deviendras-tu à-présent, sans secours, sans appointemens ? Vieillard infortuné ! tes ouvrages à publier (3) sont méprisés, avant d'être connus ! Que deviendras-tu tout-à-l"heure, puisque bientôt tu n'auras plus de faculté pour travailler ? Tu es perdu ! Le désespoir va te conduire au tombeau !.... Tu as des pressentimens toujours vrais : jamais ils ne t'ont trompé !.... Je suis perdu !.... Il existe une faction encore, semblable à celle qui agit contre moi à l'Institut national (4) ; faction obscure, invisible, et qui ne se fait sentir que par les coups assurés qu'elle porte .... Je suis au désespoir pour un rien ! pour l'enlèvement d'une carte ! D'où vient donc es-tu accâblé ? C'est que cet enlèvement est un indice assuré d'un discrédit complet, et du pouvoir de l'intrigant qui t'écrase !.... O pauvre Nicolas ! qui t'a donc adjoint à un Dauphinois (5) ! qui t'a malheureusement accouplé avec un scélérat ? C'est le sort barbare, qui t'as toujours poursuivi ! L'intrigant M*** (6), qui dura si peu après toi, a suffisamment duré pour faire cet amalgame infame de l'intrigue avec la simplicité timide, plutôt que de l'incapacité !.... Sans le public, te serais-tu douté, hélas ! que tu avais du mérite !....

(Deux ans après.(7)

Ce péril est passé comme un songe. Un ami m'a sauvé (8). Mais à ce premier péril en succède un autre aujourd'hui. Je suis sans appui (9). Qui me sauvera ? Un intrigant d'une espèce nouvelle m'attaque, et porte contre moi une accusation enfantine (10) ; mais toute inculpation est dangereuse, lorsqu'on est sans appui ! Echapperai-je à ce nouveau danger ? Je l'ignore. Il ne suffit pas de s'observer ; la calomnie sait qu'elle ment. Aussi l'on n'a pas avec elle la ressource de ne plus tomber en faute : aussi est-elle désespérante. C'est le cas où se trouve aujourd'hui, à 67 ans, moi, le vieillard Nicolas, chargé de quatre petits-enfans !.... Je fais ici cette quérimonie, pour soulager ma douleur en l'exprimant.

Vous que les ouvrages d'un Auteur amusent, sachez qu'il ressemble à l'esclave nègre, qui va fabriquer le sucre en souffrant les coups, en supportant les travaux, en s'abreuvant de douleur !....


(1) Cette note est placée à la fin de la troisième partie. Le Pied de Fanchette a paru pour la première fois en 1769.

(2) Rétif de la Bretonne adorait assister aux spectacles et ce depuis sa venue à Paris dans sa jeunesse d'auteur en devenir.

(3) Rétif publiera encore plusieurs ouvrages : les Nouvelles contemporaines, ou Histoires de quelques femmes du jour (en 1802) ; Les Posthumes, lettres reçues après la mort du mari, par sa femme qui le croit à Florence, par feu Cazotte (en 1802)

(4) L'Institut national ne veut pas de Rétif de la Bretonne. En 1796, Louis-Sébastien Mercier tente de le faire admettre dans la section littérature de l'Institut national. Mais sa proposition échoue, en dépit du soutien de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, au prétexte qu'il « a du génie, mais il n'a pas de goût », selon le président de séance. Sur les instances de Mercier, il adresse alors une lettre au directeur Carnot. En réponse, trois des cinq directeurs, Carnot, Reubell et Barras signent le 23 vendémiaire (14 octobre) un arrêté lui allouant, à défaut des 1 500 livres d'indemnité des membres de l'Institut, une aide de cinq livres de pain par jour. Rétif gardera de cet échec une rancune tenace envers Mercier et l'institution.

(5) Qui était ce Dauphinois scélérat ?

(6) Qui était l'intrigant M*** ?

(7) Il doit s'agir ici d'une coquille et il faut lire Deux mois après et non Deux ans après.

(8) Quel est cet ami qui l'a sauvé ?

(9) Rétif a perdu ses appuis. Quels étaient-ils alors ? En 1797, il participe à un concours ouvert par l’assemblée administrative de l’Allier et se voit nommer au poste de professeur d’histoire à l’école centrale de Moulins le 14 floréal an VI. Mais, ayant obtenu le 20 avril 1798, grâce à Fanny de Beauharnais, un poste de premier sous-chef à la deuxième section de la deuxième direction, « traducteur de langue espagnole », au ministère de la Police générale, section des lettres interceptées, c'est-à-dire le Cabinet noir, rémunéré 333,68 francs par mois et 4 000 francs par an, il reste à Paris. Toutefois, sous le Consulat, son service est supprimé, et il perd son emploi le 24 prairial an X, même s’il touche son traitement jusqu’au 12 août. Privé alors de ressources, il obtient le secours de Fanny de Beauharnais, qui tente de lui trouver une nouvelle place – elle écrit au préfet de Charente-Maritime. Le 2 juillet, les Posthumes et quelques feuilles imprimées de L'Enclos des oiseaux sont saisis chez lui ; les Posthumes n'en sont pas moins publiées quelque temps plus tard, probablement grâce à Fanny de Beauharnais. La même année paraissent les Nouvelles Contemporaines. Aidé jusqu'au bout par Fanny de Beauharnais, il sollicite à plusieurs reprises des secours officiels. Après une première demande en décembre 1802, il sollicite, le 8 mars 1803, une pension littéraire à Chaptal, ministre de l'Intérieur. Le 3 novembre suivant, il écrit au ministre de la Justice, Claude Ambroise Régnier : « Il fait froid et je n'ai pas de quoi me chauffer. » On ne lui accorde, le 22 décembre, qu'un secours de 50 francs, qu'il ne reçoit d'ailleurs que le 28 février 1804. Après une nouvelle demande de secours à l'attention de Louis Bonaparte, au début de 1805, il meurt dans la misère le 3 février 1806, au 16 rue de la Bûcherie à Paris, au terme d'une maladie qui, selon Michel de Cubières, ne lui permettait plus de marcher ni de tenir une plume. Ses restes sont inhumés le 5 février au cimetière de Sainte-Catherine.

(10) De quelle accusation s'agit-il ?


Nous donnons à la suite les deux autres notes "personnelles" présentes dans la troisième partie de cette cinquième édition du Pied de Fanchette (an 8, 1800) :

(51) P. 6. O Constance ! Tu suffirais seule pour le bonheur des Humains ! Pourquoi n'es-tu pas fille de la nature ?... Mais que dis-je ! la constance est la vertu des dieux : mortel ! elle peut te rapprocher de la divinité : conçois quel est son prix !

(58) P. 45. L'auteur n'a certainement pas à se plaindre de ce qu'on prend des sujets de pièces dans ses ouvrages : c'est une preuve de leur mérite : mais n'a-t-il pas le droit de se condouloir, de ce que des faquins, comme Laya, qui a pris son sujet dans les Fautes son personnelles ; de ce que Flins, qui a pris celui de sa meilleure pièce dans son Epiménide Grec ; de ce que Lachabeaussière, qui a puisé les Maris corrigés dans le II Partie de la Femme dans les trois Etats, roman qu'on va réimprimer en 3eme édition ; de ce que l'Auteur de la Madelon des Variétés-Montansier ; de ce que le jeune-homme dont on a donné hier 14 Messidor an 8 (3 juillet 1800), la Zoé, n'ont pas même eu la politesse de lui envoyer un billet de parterre ? C'est une monstruosité en morale, qui devient un plagiat, par l'affectation de se cacher. O tempore ! ô mores ! Et les jaloux qui se sont opposés à mon admission à l'Institut ne sont-ils pas servis à leur gré par ces plagiaires ?... On avait pris autrefois le sujet d'une pièce intitulée Julie, qui, je crois, est de Marin-Qu'es a quo, ancien secrétaire de la Labrairie, dans sa pauvre Ecole de la Jeunesse. Il ne réclama pas alors. Marin-Qu'es a quo, D'Hémeri, le commis Demaroles ; tous ces gens-là étaient en possession de voler ; ils y étaient autorisés. Mais aujourd'hui l'Auteur se plaint de tous les malhonnêtes-gens, même de ceux de l'Institut, auquel il a cinquante fois plus de droit que ceux qui l'en ont exclu. Ce qui est bien fait pour le dédommager de cette injustice, c'est la preuve qu'il peut donner que presque tout ce qu'il y a de gens de mérite en Europe l'appréciaent mieux que n'ont fait ces messieurs. Il a reçu plus de 60 lettres de tous les pays où ses ouvrages ont pénétré, adressées au Citoyen RESTIF-LABRETONE, membre de l'Institut national. Et certes, ce témoignage d'estime que reçoit ainsi l'Auteur, fait plus d'honneur à l'Institut, qu'il n'est lui-même dans le cas de lui en rendre.

Une autre note placée au bas de la page 45 de la troisième partie renvoie à la note 58, la voici :

(*) On a fait une pièce du Pied de Fanchette, aux Variétés Montansier. J'en ai vu hier (14 Messidor, an 8), une autre au théâtre Favart, tirée de mon histoire de Zoé, ou l'Orpheline bourgeoise, sous le titre de Zoé, ou la pauvre Petite (58) : et pas un de ces Messieurs ne m'envoie un billet de parterre !..... Quelle ingratitude !

Nous donnons ci-dessous quelques reproductions des titres et gravures qui ornent cette édition rare.




L'exemplaire que nous possédons actuellement a été relié sur brochure. Il se présente habillé d'une demi-reliure à petits coins, maroquin vert sombre avec grecque dorée encadrant les plats. Cet exemplaire a été vendu en 1959 (Drouot, Paris, Giraud-Badin) et est présenté comme suit : "Exemplaire relié sur brochure, avec les figures avant la lettre, dans une jolie imitation de reliure ancienne." Nous donnons ci-dessous quelques photographies de cet exemplaire. S'il s'agit d'une imitation de reliure époque Empire, et il nous est très difficile d'être affirmatif, cette imitation est parfaite et n'a pu être effectuée qu'au plus tard dans le dernier quart du XIXe siècle (ca 1875-1880).




Photographies Bertrand Hugonnard-Roche | Librairie L'amour qui bouquine | mars 2024

Publié par Bertrand Hugonnard-Roche,

le 27 mars 2024





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